Aissa El Djermouni, l’âme musicale des Aurès

Les Aurès ont des voix et elles sont multiples. Aujourd’hui, c’est l’imperturbable Djamel Sabri, alias Joe, qui en est l’icône. Mais, la chanson aurèsienne, avant d’être là où elle est, une chanson singulière avec ses rythmes, ses envolées et ses rimes, elle est passée par bien des péripéties qui l’ont façonnée et lui ont injecté des vibrations qui demeurent vivaces. Son histoire n’est pas écrite mais elle peut s’écrire à travers le parcours d’un de ses plus emblématiques représentants : Aissa El Djermouni.

Il n’était destiné à aucune carrière exceptionnelle.  Par miracle, c’est à un Israélite indigène appelée M. Snoussi que revient le mérite de l’avoir fait connaître auprès des maisons de disques parisiennes de l’époque grâce à qui, petit à petit, il commencera à émerger dans le firmament de la musique algérienne.

De son vrai nom, Merzouk Aissa Ben Rabeh, Aissa El Djermouni est né en 1885 dans une région appelée M’toussa dans la Wilaya de Khenchla. Sa branche tribale est celle des Igerman, d’où la forme arabisée El Djermouni. Comme la majorité des enfants bergers, El Djermouni apprend le chant en gardant les moutons et les chèvres, seuls compagnons de son errance. Son talent se découvre lors des rassemblements dans les fêtes, les zerda et les moments de joie de sa tribu. Depuis, le nom d’Aissa El Djermouni ne cesse de voler de bouche en bouche parmi les gens de sa région. Malgré ses performances et l’originalité décapante de son art, il était confiné dans une région où peut d’opportunités s’offraient aux artistes. Il n’était destiné à aucune carrière exceptionnelle.  Par miracle, c’est à un Israélite indigène appelée M. Snoussi que revient le mérite de l’avoir fait connaître auprès des maisons de disques parisiennes de l’époque grâce à qui, petit à petit, il commencera à émerger dans le firmament de la musique algérienne.

Il se marie à une femme française qui faisait l’objet de ses poèmes chantés sur le rythme d’une gasba, « flûte » triste. Cette chagra, « blonde », ne quittera jamais ses chants jusqu’à sa mort. Elle sera un refuge pour ses maux, ses douleurs, et sera sa muse jusqu’à sa mort.

L’œuvre musicale d’El Djermouni se compose de plus de 30 chansons, dont les plus fameuses sont : « Ain el Karma », « Tabkaw Besslama », « El Fouchi ». Il fut ainsi parmi les premiers chanteurs africains à porter ses chants à l’universalité à se produire à l’Olympia en 1936. Ses chansons réinventent, à partir d’un chant alternant l’arabe et le berbère, l’amour, la beauté de la femme, l’Histoire, l’honneur et les traditions de la compagne, son milieu d’origine. La voix d’Aissa el Djermouni, constitue aujourd’hui un mythe qui revient comme un leitmotiv sur les lèvres des Aurèssiens. « Il n’est pas rare pour les femmes des Aurès de se résoudre à divorcer en écoutant El Djermouni dont la voix et les chants les subjuguaient, » nous révèle une jeune musicienne d’Oum El Bouagui qui reprend le témoignage de sa mère.

Le répertoire de la tradition orale chaouie réserve une place importante aux poèmes d’Aissa d’El Djermouni. Ses chansons, plus que des ferveurs musicales et poétiques, sont des leçons de sociologie qui nous renseignent sur les conditions de vie de l’époque, notamment les quêtes, souvent impossibles, dans des contextes de misère et de pauvreté. Le grand rebelle Messaoud Ben Zelmat, appelée par les Français « le bandit d’honneur des Aurès », est cité comme figure emblématique dans les chansons d’Aissa el Djermouni : « Ifuci n umesmar, Ibelγeṯ ṯeǥḏrwiin d Lmesεu uzelma. » (Le fusil de chasse et les sandales, ceci est le pied de Messaouad Azelmat).

Aujourd’hui, les volontés d’aller sur ses traces, de chanter son répertoire et de reconduire ses sonorités et ses rimes se multiplient de jour en jour. Plus qu’une icône, il est devenu une école pour les nouvelles générations d’artistes chaouis.

Le parcours peu connu d’Aissa El Djermouni a fait l’objet d’un assez riche feuilleton télévisé, Douar Echaouia (Le patelin des chaouis), réalisé par Djamila Arras et Samira Sahraoui. Il a aussi suscité l’intérêt de Mostéfa Haddad qui lui a consacré quelques modestes recherches. Mais, globalement, sa trajectoire artistique reste inexplorée et il est vivement souhaitable que ceux qui s’intéressent à l’histoire culturelle et la sociologie de l’art en Algérie s’y penchent. Mort le 16 décembre 1945, Aissa El Djarmouni a laissé derrière lui une œuvre artistique considérable. Plus de 70 ans après son ultime départ, ses chants immémoriaux continuent à retentir dans les quatre coins du pays chaoui, pendant les fêtes mais aussi pendant les soirées improvisés et les ateliers de musique qui pullulent dans les Aurès. Aujourd’hui, les volontés d’aller sur ses traces, de chanter son répertoire et de reconduire ses sonorités et ses rimes se multiplient de jour en jour. Plus qu’une icône, il est devenu une école pour les nouvelles générations d’artistes chaouis. Plusieurs artistes ont essayé de l’imiter, mais son art teint d’unicité et d’authenticité reste inimitable. Référence incontournable de la chanson aurèsienne, il représente sans conteste le creuset de la mémoire collective et l’âme musicale et poétique des Aurès.  

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