Anna Karénine : entre l’apparence, le faste et le fond

Il est difficile, même quand il s’agit de relecture, de saisir toute la complexité narrative du roman Anna Karenine de Léon Tolstoï. Bien que l’histoire s’organise essentiellement autour de ce personnage d’où est tiré le titre, en l’occurrence, Anna, l’auteur a tellement mis d’intrigues et de détours alambiqués qu’il est épineux de suivre l’ordre des événements. Ne parlons pas des ambiguïtés qui caractérisent les rapports de tous les personnages dont plusieurs jouent des rôles essentiels ; de toutes les interrogations philosophiques qu’ils suscitent. Dans ce livre que nombreux critiques présentent comme un cheminement eschatologique des personnages, n’y a-t-il pas aussi un désir de l’auteur de mesurer d’abord les différentes visions de la vie en cette période bien précise de l’Histoire de la Russie ?

Comme dans tous les romans où l’empreinte historique est visible, les héros, ici, s’identifient à leurs propres profondeurs idéologiques. Certes, la confusion des sentiments se fait en dehors du paysage politique en apparence, mais au fond, il n’est pas besoin d’être un grand connaisseur de la culture ou de l’Histoire de la Russie pour s’apercevoir des relents politiques qui se jouent à l’intérieur des fibres des sentiments de chacun des personnages. Pourtant l’histoire en elle-même est, à première vue, très simple. Un divorce entre Anna et Alexis sur fonds d’adultère avant que la narration ne prenne des tournures nouvelles. Un amour avec Wronski, un autre homme mais autant que le premier, frivole et donc susceptible de perturber Anna de nouveau. Elle essaiera au début de mener le combat contre son propre désir. Les souvenirs de son premier mariage la hantent… Mais sans doute la clé de voute de ce roman se trouve ailleurs que dans cette romance à l’eau de rose. La lumière est derrière chaque petite brume qui enveloppe les cœurs de tous ces personnages. Progressivement, on se familiarise avec les décors dans lesquels ils évoluent.

On remarque chez Tolstoï cette abondante description des caractères de ses personnages. En ce sens qu’on retrouve de ceux qui, par exemple, aiment la nature, d’autres se sacrifient au culte de l’argent, d’autres encore se morfondent dans la passion et l’amour… un monde, en somme, qui symbolise la Russie du XIXe siècle où la dure réalité économique, le système politique, dévorent l’Homme dans ses composantes affectives et psychologiques. Les comportements de chacun de ces personnages permettent de voir les éléments politiques, idéologiques, économiques qui les transforment. Autrement dit, le contexte reste l’ordonnateur des mouvements qui jouent dans cette narration. C’est peut-être dans cette optique que le maître du cinéma russe, Karen Shakhnazarov a choisi d’adapter une facette de ce grand roman : celle du compte Wronski sous le titre Anna Karénine, l’histoire de Vronski. Sans toucher au fond, le scénario du film semble pourtant se trouver dans une continuation naturelle. Mieux, en extirpant le destin de quelques héros du reste du roman, le film fait un texte vivant sans renverser l’origine du récit.

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