Benjamin Stora a-t-il ouvert la boite de Pandore ?

Six mois après avoir été chargés par les présidents algérien et français Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron de « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie », les historiens Benjamin Stora et Abdelmadjid Chikhi ont entamé des discussions autour de ce projet pour décider de son avenir.

En effet, M. Abdelmadjid Chikhi a révélé depuis un mois que son homologue français s’est excusé « de ne pouvoir entamer le travail en raison d’un rapport demandé par le président Macron sur les étapes et les priorités pour la partie française. »Ce rapport a été remis par Benjamin Stora au président français mercredi, mettant le point sur les objectifs visés afin de « clore à jamais » ce dossier.

En vue de réinstaurer « les rapports de tolérance » entre les peuples algérien et français, M. Stora propose dans son rapport remis à Emmanuel Macron la constitution d’une commission baptisée « Mémoire et vérité » qui sera chargée de recueillir les témoignages des survivants à la guerre des deux côtés. Il envisage par ailleurs de continuer à fêter le cesser-le-feu du 19 mars 1962, requis par plusieurs associations d’anciens combattants et considéré comme le premier pas vers l’indépendance de l’Algérie. Parmi les autres propositions, figure la célébration du 25 septembre comme journée d’hommage aux harkis et la possibilité de circuler librement entre l’Algérie et la France, ainsi que le 7 octobre, journée qui rappelle la répression des travailleurs algériens en France en 1961. Benjamin Stora propose également de restituer à l’Algérie l’épée de l’Emir Abd El Kader et la construction d’une stèle à son hommage. Cette série de propositions qui se fait encore longue, n’est pour l’historien algérien Hosni Kitouni « qu’un catalogue insignifiant sans aucune portée historique, puisque majoritairement tourné vers la période de la guerre 1954-1962 et ses séquelles et ses problèmes mal réglés. » Il s’agit en effet, selon le même historien, d’un réductionnisme flagrant dans la mesure où ce premier pas de la part de la France loupe une grande partie d’événements dont l’assassinat de plusieurs personnalités militantes, « la souffrance des déportés algériens en Nouvelle Calédonie et à l’île Sainte Marguerite, la compensation du pillage de la Casbah et la restitution des manuscrits pillés dans les bibliothèques personnelles et celles des zaouias… », a souligné M. Kitouni.

« Ni repentance ni excuses, mais des gestes symboliques », une phrase qui provient de l’Elysée et surfe depuis deux jours sur les médias français, éclaircit encore la démarche française face la question mémorielle et « indique, ajoute Hosni Kitouni, de manière claire que la France n’est pas prête à faire une vraie avancée sur la question du passé colonial et celle de la mémoire. L’éléphant accouche d’une souris. »

Visiblement, Benjamain Stora a ouvert la boite de Pandore et en croyant aller vers plus d’ « apaisement », il a allumé la mèche des hostilités aussi bien du coté algérien que du coté français. Regardant l’histoire avec un seul, la partie française veut en effet réduire les atrocités de la colonisation à la seule période de 1954-1962, quitte à sacrifier symboliquement les familles des harkis. Pari perdu d’avance compte tenu des réactions soulevées en France et en Algérie dans l’opinion publique.

De Benjamin Stora, l’historien algérien Hosni Kitouni pense qu’il « défend la mémoire et les intérêts de la France, avec le souci d’être le plus utile à son pays. » « Or, comment prétendre réconcilier les peuples et les mémoires, sortis de 132 années d’une terrible cohabitation, quand on ne veut pas reconnaître d’emblée la cause essentielle des souffrances et des traumatismes subis par tous ? », se questionne M. Kitouni.

Une autre proposition de M. Stora ne cesse de secouer la Toile et fait parler d’elle, c’est la construction d’une stèle en France en hommage à l’Emir Abdelkader, chef de la résistance de l’Ouest. Il faut rappeler que ce n’est pas une première de la part de la France, car l’ancien gouverneur d’Algérie, Edmond Naegelen a inauguré en 1949 un mausolée en hommage au Général Bugeaud et à l’Emir Abdelkader, dit « meilleur ami de la France pour la prospérité commune de la métropole et de l’Algérie ». S’agit-il réellement d’un engagement de réconcilier les mémoires ? La question de se pose avec acuité.

Par ailleurs, la libre circulation des harkis entre l’Algérie et la France semble affecter profondément l’imaginaire historique des Algériens qui les considèrent comme des « traitres de la nation », allant jusqu’à réutiliser le terme de « Harki » ou « Chyat fransa » (collaborateur de la France) pour désigner toute personne déloyale envers les simples devoirs amicaux ou familiaux ; ce qui atteste sans réserve du rejet de cette proposition dans le rapport de Benjamin Stora.

Les réactions de la partie française ont aussi eu leur part d’intérêt. Michèle Tabarot, députée des Républicains, a farouchement critiqué la démarche d’Emmanuel Macron, estimant qu’il « commet une faute impardonnable ». « Toutes mes pensées vont aux Français d’Algérie et aux Harkis pour qui ces déclarations ravivent de douloureuses blessures », a-t-elle tweeté. De son côté, la sénatrice Valérie Boyer a rappelé que Benjamin Stora n’est pas « dénué d’engagements politiques », ajoutant que les Français doivent regarder « avec lucidité et avoir pleinement conscience des drames vécus par tant de familles. » Le tweet du maire de Perpignan a, quant lui, pointé du doigt Emmanuel Macron et sa sollicitation de Benjamin Stora qu’il a qualifié de « trotskyste » « Macron a-t-il décidé, par l’intermédiaire du trotskyste Stora, de déclarer une guerre mémorielle à des familles françaises durement éprouvées par les atrocités du FLN et leurs porteurs de valises ? », s’est-il insurgé.

Finalement, la partie algérienne n’a jusque-là émis aucune réaction à ce premier pas de la France. Le représentant de l’Algérie, Conseiller du président de la République chargé de la mémoire et des archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, n’a fait aucune déclaration officielle en l’absence du chef de l’État.

 

2 thoughts on “Benjamin Stora a-t-il ouvert la boite de Pandore ?

  1. Le rapport de Benjamin STORA est une véritable incitation à la violence
    Youcef Benzatat
    L’historien Benjamin STORA, approuvé par son Président Français Emmanuel MACRON, avoue dans son rapport sur la mémoire coloniale que la France a bien commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité contre le peuple Algérien, mais il n’est pas question de nous en excuser.
    Comment voulez-vous vous réconcilier avec des gens qui reconnaissent vous avoir taper dessus sauvagement, mais vous disent en même temps qu’il n’est pas question de nous en excuser auprès de vous !
    De ce fait, le rapport de Benjamin STORA est une véritable incitation à la violence, que cautionne le Président de la République Française, Emmanuel Macon !

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