« Déflagration des sens », ou le roman qui met le doigt sur les plaies algériennes

Déflagration des sens de Karim Akouche aurait pu s’appeler « dépossession dans tous ses états ». Écrit avec une plume trempée dans la vérité crue, dans un style nouveau, sans artifices, ce livre ne laisserait aucun lecteur indifférent. Le récit repose sur un monologue endiablé, avec pour auditeur un ami qui n’intervient que pour ponctuer les déclarations, et à qui il incombe d’enregistrer toute la narration. Il ne faut surtout pas essayer de cloîtrer cette œuvre dans un genre précis puisqu’elle fusionne poésie, prose et essai au vitriol. Karim Akouche use de sa plume dans une trame tantôt en prose, tantôt en vers, souvent en larmes.

Dans ces déambulations dans les méandres de la vie à l’algérienne et avec un style philosopho-trasho-comique, Karim Akouche rejoint le cercle restreint des poètes audacieux, les Miller, Bukowski et Carver et autres écrivains « dégueulasses ».

Très près de la mère qu’il positionne comme le noyau de son peuple, l’auteur  tend un bras d’honneur aux conventions, aux traditions, aux bien-pensants et aux culs-bénits. Il pourfend la fausse histoire et fait le procès  des croyances asservissantes. Il fait du droit à la pensée un droit inaliénable. Ce droit de penser qui englobe le droit au blasphème.

Pendant que les hyènes d’Alger, pour acheter la paix sociale, gratifient les jeunes de rares gouttelettes de l’argent du pétrole, l’auteur appelle à une tabula rasa. Une sorte de ‘’il est interdit d’interdire’’ ou il faut tout refaire depuis le début.

L’histoire est racontée avec de nombreux retours en arrière, qui promènent le lecteur de la Kabylie à Alger, d’Alger à Paris, puis à Bruxelles, en passant par Toulouse et Moissac (petite ville où est enterré le barde Slimane Azem). L’étudiant, qui ne pouvait concilier études et job, est vite devenu un sans-papiers exploité par des employeurs véreux et se retrouve traqué par les polices européennes.

C’est le récit d’une vie commencée depuis l’enfance par un père absent qui s’est oublié dans son exil parisien, dans le lit d’une Arménienne qui ne veut pas le lâcher. La mère a dû tirer le diable par la queue pour nourrir seule ses deux filles et le jeune homme Kamal Storah, puisque c’est de lui qu’il s’agit, va traîner sa carcasse dans les merdiers d’une vie, au creux d’un village du Djurdjura oublié par les autorités, les saints, les dieux et même le diable. Dans les cimes, la misère et l’isolement ont fini par aseptiser les cœurs et la terre.

Affrontant vents et marées, Kamal réussira à arracher son diplôme de journalisme, et en major de promotion s’il vous plaît ! Son expérience dans ce métier ne fera pas long feu puisqu’il est trop honnête. Déprimé, il retournera au village après moult tentatives infructueuses, en France d’abord puis en Belgique, pour finir par se faire jeter d’Espagne. De retour au bercail, il fera mille et un métiers pour récolter autant de misères. À l’instar de plusieurs jeunes désœuvrés, Kamel Storah deviendra transporteur avec un fourgon germanique, mais déchantera vite à cause d’une concurrence sauvage.

La misère sexuelle est un problème fondamental dans ce pays qui, au lieu d’implorer le Dieu pour qu’il le protège, fait le contraire en décidant de protéger le bon Dieu ! En Algérie, la sexualité est une affaire d’État et on ne badine pas avec les lois ! Résultat de la course, les bourses sont pleines, ce qui empêchent, en grande partie, les jeunes de réfléchir.

Le personnage principal, quadragénaire, vit lui-même la frustration de ce besoin primaire. Il décide alors de transformer son autocar en lupanar mobile. Ce projet, qu’il voulait révolutionnaire, allait lui permettre de faire œuvre d’utilité publique et le rendre riche comme Crésus. Cependant, c’était méconnaître les forces du mal que de croire à la réussite d’un tel projet. Dénoncé par le tôlier barbu chargé de transformer le véhicule en bordel ambulant,  Kamal Storah, alias Kamel Sûtra, traqué par la gendarmerie, prend la fuite vers le désert. Au cours de l’aventure, il crache les quatre-cents vérités aux bien-pensants, aux lâches, aux complices et aux inactifs.

Déflagration des sens est un hymne à la liberté de penser et de dire. Karim Akouche dénonce tour à tour la corruption dans toutes ses sauces : l’islamisme obscurantiste et son alliée, la toute-puissante armée, qui a pris le pays en otage, allant jusqu’à pervertir les vérités historiques sans oublier les ‘’intellectuels’’ alimentaires. Ce voyage est une quête incertaine vers ce qui doit être et non paraître, et comme le dit l’auteur : « La seule loi digne de ce nom est celle qui montre le chemin de la liberté. »

 

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