« Il n’y a ni langue universelle, ni langue internationale » (Patrick Chardenet, didacticien)

Patrick CHARDENET a été maître de conférences en sciences du langage à l’Université de Franche Comté (2001-2017), détaché auprès de l’Agence Universitaire de la Francophonie à Montréal (Directeur délégué Langue & communication scientifique en français, 2005-2010), puis à São Paulo (Responsable fondateur de l’Antenne Amérique Latine, 2011-2016). En 2017, il devient Directeur exécutif du réseau d’experts Erasmus Expertise puis fonde et dirige la collection « Champs didactiques plurilingues : données pour des politiques stratégiques », PIE Peter Lang, Bruxelles. En 2019, il rejoint le réseau du FMH (Forum Heracles- Hautes Études et Recherches pour les Apprentissages dans les Centres de Langues de l’Enseignement Supérieur), pour y diriger le nouveau programme Conseil & Expertise. Enseignant-chercheur en didactique des langues et expert en politiques linguistiques éducatives, il a été associé à trois laboratoires de recherche (ELLIADD- Édition Langages Littératures Informatique Arts Didactique Discours ; CEDISCOR- Centre de recherches sur les discours ordinaires et spécialisés, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle ; CRIAR- Centro di Ricerca Interuniversitario Americhe Romanze) de l’Università degli Studi di Milano). Il collabore actuellement à deux projets de recherche et un projet d’expertise : « États de la recherche en didactique du FLE/FLES dans le monde », avec Philippe Blanchet (laboratoire PREFICs Université Rennes 2 ; « États des pratiques et des apprentissages du français en Amérique du Sud » avec Eliane Lousada (Universidade de São Paulo) et Lía Varela (Universidad Nacional de Tres de Febrero) ; « Étude forces, faiblesses, opportunités, menace sur le réseau des classes bilingues de Moldavie »  avec une équipe associée au FMH.

Afin de « compétencialiser » les étudiants en langues étrangères, il importe de mettre en œuvre des approches synergiques fondées sur l’interdisciplinarité et la multilinguité. Comment favoriser l’apprentissage plurilinguistique en classe ?

Je ne sais pas s’il faut chercher à favoriser ce que vous appelez « l’apprentissage plurilinguistique ». Hormis les apprenants qui ont un ou des objectifs d’apprentissage simultané de plusieurs langues (comme dans les approches en intercompréhension par exemple), je ne pense pas que cela doive s’inscrire dans un plan d’enseignement. Ce n’est pas un objectif à introduire, le plurilinguisme est plutôt une condition naturelle des pratiques langagières. Et parmi ces pratiques, il y a celles de l’apprentissage.

Ce que je veux dire, c’est que l’actualisation du plurilinguisme se trouve dans les pratiques langagières quelle que soit la langue. D’une part dans la formation même des langues (l’anglais comporterait environ 25.000 mots d’origine française, l’espagnol environ 10.000 mots d’origine arabe et le français plus de 400), ce qui n’est déjà pas rien. D’autre part dans les intertextualités et les espaces d’interlocution de plus en plus internationalisés (2010). J’utilise la notion d’espace d’interlocution comme unité d’interaction langagière déterritorialisée entre locuteurs et entre textes (au sens large de matérialisation des discours).

Le plurilinguisme est donc, me semble-t-il, une des conditions de tout processus de compétencialisation en langue et en particulier de l’apprentissage des langues étrangères. Je revisite ici la notion de compétencialisation qui a été introduite dans le champ de la sémiotique avec les travaux d’Algirdas-Julien Greimas. Greimas définit la didacticité comme une compétencialisation, c’est-à-dire une mise en œuvre de moyens permettant au destinataire de prendre de la distance pour qu’il devienne critique en haussant ses compétences. Il me semble que cette notion complète au niveau du plan d’enseignement, la description dynamique des activités d’appropriation (d’acquisition et d’apprentissage) engendrées au niveau du plan d’apprentissage.

La francophonie (ou la Francophonie) est un processus d’invention qui se fonde souvent sur une identification par la langue française mais aussi bien au-delà, par l’agrégation à cet espace linguistique, même si la langue française est absente. Pourquoi la francophonie est en pleine expansion et extension ?

On ne peut mettre sur le même plan francophonie et Francophonie. Si la Francophonie institutionnelle et politique est une invention qui produit des discours, du symbole, des actes et des territoires qui en actualisent l’idée (voire une idéologie de valeurs), la francophonie des locuteurs de la langue française crée un espace linguistique d’autant plus complexe à saisir qu’il n’existe pas de norme sociolinguistique ni de consensus didactique pour définir à partir de quand on devient locuteur d’une langue (2018 a). À partir de quel niveau (si on se réfère par exemple aux niveaux du Cadre européen commun de référence pour les langues) et dans quelles compétences peut-on dire que tel individu est locuteur de telle langue ? C’est une des grandes difficultés pour mesurer le poids démolinguistique réel des langues. Dans les espaces territorialisés où la langue est officielle, on s’en tire en général avec le nombre officiel total d’habitants moins le nombre d’étrangers résidents déclarés. Cela reste quand même une approximation car parmi les  étrangers résidents déclarés, certains ont des compétences langagières dans la langue en question et à l’inverse, tous les pays n’imposent pas un niveau de compétence particulier pour naturaliser un étranger. Cela se complique pour les pays où existent plusieurs langues officielles. Pour les espaces déterritorialisés (par exemple les locuteurs de français vivant dans un pays dans lequel cette langue n’a pas de statut officiel), c’est encore plus complexe si on ne veut pas se limiter aux registres des demandes de visa, aux recensements (quand la variable langue existe) et si on veut prendre en compte les nationaux qui ont appris, voire qui sont en train d’apprendre le français.

La question de l’identification par la langue n’est pas simple à résoudre hormis par la déclaration directe des individus. Ce qui, en l’absence de norme consensuelle sur la définition du locuteur par les compétences, renvoie à l’appréciation individuelle entre une tendance possible à la minoration (il n’est pas toujours valorisant, voire sécurisant de se déclarer locuteur de telle ou telle langue et on ne s’autorise pas toujours à s’inclure dans une communauté linguistique quand on a des compétences variables ou des fréquences de pratiques peu nombreuses et seulement périodiques) et une tendance à la majoration (à partir de quelques compétences limitées qui permettent certains échanges, de courriels par exemple et d’aides technologiques à la traduction, on peut surestimer leur transposition dans d’autres contextes).

Lire aussi: « Il faut inculquer à nos élèves le respect de l’altérité linguistique » (Leila Messaoudi, linguiste)

Vous posez également la question intéressante de l’agrégation à la Francophonie même si la langue française est absente. Il y a bien entendu les pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie dans lesquels la communauté des francophones est très faible au point qu’ils ne peuvent être qualifiés de pays francophones (avec un f minuscule) bien qu’ils soient Francophones (avec un F majuscule). Mais ce n’est pas la seule particularité, le fait francophone (c’est-à-dire un acte qualifié ou qui se qualifie comme francophone) peut désigner un événement, un groupe où la langue française n’est pas nécessairement présente. J’ai écrit un article sur cette question avec des exemples (2018 b). C’est un phénomène que je considère comme spécifique à la confusion francophonie/Francophonie qu’on ne retrouve pour aucune autre des X-phonies du monde (pour reprendre une dénomination de Louis-Jean Calvet, 2008). S’il existe bien pour chaque langue une-phonie sociolinguistique (l’ensemble de ses locuteurs si tant est qu’on arrive à les identifier tous), les X-phonies institutionnelles sont peu nombreuses et très peu en utilisent cette dénomination. Sur le web, il n’y a pas de construction correspondant à « germanophonie » en allemand, peu d’occurrences en anglais d’« anglophony », très peu d’« hispanofonia » en espagnol (en concurrence avec « hispanidad »), quelques occurrences en russe de « русофония » et en portugais de « lusofonia », je ne sais pas sur quelle racine correspondant à -phonie, peut se construire la notion d’arabophonie mais je vous invite à rechercher s’il y a des occurrences d’un équivalent notionnel). En revanche, on trouve des transpositions en français qui seraient des sortes de projections du fait francophone dans d’autres espaces linguistiques (on trouve ainsi des occurrences comme « anglophonie », « arabophonie », « germanophonie » « hispanofonie », « lusophonie », « russophonie »). Mon hypothèse est que la Francophonie a tendance à décrire les autres espaces linguistiques à partir de la représentation du  modèle qu’elle produit et reproduit (Bélanger, Garant, Dalley, Desabrais, 2010).

La déterritorialisation des échanges fragilise les frontières, rend la réalité plastique, dynamise les interactions et met en contact les langues. À l’ère de ce métabolisme miraculeux, comment peut-on valoriser le capital linguistico-culturel des universités ?

Je dirais que la déterritorialisation des échanges rend compte aujourd’hui d’une plasticité de la réalité. Nous nous sommes habitués aux représentations cartographiques des États et de leurs langues par la géographie (science qui a connu un grand développement avec les conquêtes coloniales). Mais la réalité est déjà plus complexe que ce que les cartes induisent. Les frontières n’ont jamais arrêté les flux de population : guerres de conquête, migrations subies ou volontaires et flux de proximité transfrontalière. Elles n’ont évidemment pas non plus arrêté les langues, portées aussi bien par les individus que par la technologie de la communication (l’écriture, l’enregistrement et le téléphone bien avant internet et la communication numérique).

Aujourd’hui, le potentiel d’exposition aux langues n’a jamais été aussi puissant, ce qui explique l’expansion et l’extension de certaines langues. Et je vais répondre ici à votre question sur l’expansion et l’extension de la francophonie. L’expansion, c’est la croissance du nombre de locuteurs, l’extension c’est la croissance et la diversification de leurs localisations. Il y a de plus en plus de locuteurs d’un certain nombre de langues dans de plus en plus de territoires, de locuteurs circulants physiquement et virtuellement. L’augmentation du potentiel d’exposition aux langues est un accélérateur du processus d’internationalisation des langues. Le paradoxe est que cette dynamique de certaines langues contribue aussi à la disparition d’autres langues par économie. Autrement dit, enseigner, apprendre une langue étrangère peut tendre à en faire disparaître d’autres. Il y a alors gain en plurilinguisme des individus mais perte en multilinguisme dans le monde. C’est une des raisons qui font que les politiques linguistiques éducatives à tous les niveaux (scolaire et universitaire) devraient davantage se fonder sur des études qui mesurent les effets de l’offre de telle ou telle langue et favoriser des pratiques langagières plurilingues diversifiées (2011). Dans l’Union Européenne en 2014, le pourcentage  de  tous  les  élèves  inscrits dans l’enseignement primaire et apprenant au moins une langue étrangère était de 83,8 % et 100 % dans l’enseignement secondaire. Mais l’anglais dominait à 90 % comme première langue étrangère et dans la plupart des pays, moins de 5 % des élèves apprenaient des langues autres que l’anglais, le français, l’allemand ou l’espagnol[1]. Il est possible de faire autrement sur une base de trois langues étrangères au cours d’une scolarité maternelle, primaire et secondaire, en commençant par une éducation à la conscience linguistique et la pluralité des langues. Et pas seulement en Europe. Il est possible de faire autrement si dans l’enseignement supérieur et la recherche, on prend conscience du fait que si le monolinguisme dans la diffusion scientifique présente un avantage économique pour les cinq ou six grands groupes d’édition qui imposent leur rationalité aux chercheurs, c’est aussi un risque d’affaiblissement de la science par l’uniformisation de ses discours. On se surprend parfois à raboter son discours pour le faire entrer dans le « scientific Globish » ou parce que sans être natif on passe beaucoup de temps à s’interroger sur la traduction d’une argumentation complexe, d’une nouvelle notion (2020 a, 2020 b). Les compétences en anglais deviennent un régulateur de la recherche. Ce n’est pas sans raison que dans une étude danoise portant sur les évaluateurs de projets européens, on voit que l’impact de la compétence linguistique en anglais sur l’évaluation des projets touche 92 % des évaluateurs dont 23 % avec une influence significative ou critique qui peut aller jusqu’au rejet (Ydemann Hansen, Thers Nielsen,  Høøck Hansen, 2018). Si métabolisme il y a, il serait plutôt sous influence d’une physiocratie, d’un laisser faire, laisser aller. Mais je me méfie des métaphores naturalistes qui semblent nous dire que s’il en est ainsi, c’est parce que nous le voulons et qu’il n’y a rien à faire ou qu’il n’y a pas de raison de faire. Ce que nous avons essayé de montrer de manière provocatrice avec mes collègues mathématiciens Jean-Pierre Asselin de Beauville et André Rouillon (2011), c’est que, à partir d’un travail probabiliste sur des données, on pourrait modifier les curseurs de l’offre de langues dans les systèmes éducatifs des pays de langue romane en favorisant une intercompréhension élargie aux langues d’influence avec lesquelles chaque langue romane est en contact.

Tout comme il n’y a pas de langue universelle, il n’y a pas de langue internationale. Pour être universelle, il faudrait qu’une langue soit parlée et écrite par l’ensemble de la population de la Terre, or le nombre total de locuteurs des cinq langues internationalisées suivantes : anglais, arabe, espagnol, français, portugais, ne représente pas 1/3 de la population mondiale. Les seuls statuts authentifiés de langue « internationale » pourraient être ceux conférés par des organisations internationales. Pour l’Organisation des Nations unies, l’anglais, l’arabe, le chinois (mandarin), l’espagnol, le français et le russe ; pour l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, les six langues officielles de l’ONU et deux langues supplémentaires pour les publications : le portugais et l’espéranto. Aucune de ces langues n’est universelle et leur réalité internationale est plus un processus qu’un état. Cela peut aller dans un sens d’expansion et/ou d’extension ou dans un sens inverse comme ce fut le cas pour le russe, imposé dans les systèmes scolaires des pays du Pacte de Varsovie et qui en a largement disparu à la suite de la fin de l’URSS. C’est pour ces raisons que je pense qu’il est plus précis de parler de langues internationalisées, ce qui permet aussi d’inclure des processus d’internationalisation régionaux comme c’est le cas pour le ki-swahili en Afrique.

Le potentiel d’exposition aux langues est aussi repérable dans les universités où paradoxalement dans une dynamique d’internationalisation (accélération et diversification des mobilités et des collaborations internationales dans la recherche), il est relativement mal mis en valeur, faute de véritable gouvernance linguistique de l’enseignement supérieur et de la recherche. La richesse du capital linguistique d´un établissement d´enseignement supérieur ne se mesure ni au nombre de cours donnés dans des langues internationalisées ni au nombre d’articles publiés en anglais. Il n’est pas non plus composé de la simple somme des langues en  présence de façon productive et réceptive, mais de la somme des contacts de langues en production et en réception. Ce qui inclut aussi bien les langues des étudiants et enseignants étrangers tout comme les langues qui constituent les corpus de recherche (exemple : les langues des communautés étudiées en sociologie, en ethnologie et les langues analysées en linguistique, aussi bien que les langues des patients et des acteurs dans les disciplines de la santé et de l’éducation) et les langues des ouvrages et documents référencés (2020).

La mondialisation s’intensifie, les échanges s’amplifient, les zones silencieuses sont remplacées par des espaces d’interlocution, l’homo-sapiens est devenu « l’homo mobilis » et l’archipélisation du monde est en flux. Cette métamorphose de la praxis communicative est assurée par des programmes de mobilité, tel le programme Comenius ou Erasmus visant le développement des compétences interlinguistiques et interculturelles. Dans cette optique, vous proposez un nouveau paradigme méthodologique dénommé « interlinguisme méthodologique ».  Pourquoi une telle approche ? Que vise-t-elle ? 

C’est une extrapolation de dire que les programmes européens Comenius et Erasmus visent le développement de compétences interlinguistiques et interculturelles. En réalité, les objectifs officiels visent principalement à renforcer la dimension européenne dans le domaine de l’enseignement scolaire (du préscolaire au lycée) et universitaires en promouvant la mobilité des enseignants, des élèves et des étudiants ainsi que la coopération entre établissements. La question des compétences interlinguistiques et interculturelles est au mieux un sous-objectif dans la mise en œuvre concrète des actions. En 2007, la Commission européenne a commandé une étude pour évaluer les effets des partenariats scolaires Comenius : 62 % des élèves ont déclaré avoir amélioré leur connaissance de l’anglais et 23 % leur connaissance d’une autre langue et près de 70 % des enseignants ont déclaré avoir progressé en anglais en reconnaissant que l’anglais est souvent utilisé comme langue véhiculaire dans les partenariats, plus que les autres langues. Ce qui n’empêche pas l’étude de déclarer que  les élèves et les enseignants ont amélioré leurs compétences linguistiques et interculturelles, révélant ainsi les limites du projet et de la compréhension de ce que vous appelez  la praxis communicative. On peut certainement faire mieux en matière d’intégration langagière plurilingue, dans un contexte européen où le plurilinguisme ascendant (celui des locuteurs, pas celui descendant des orientations politiques) devrait se construire comme un contrat social langagier (2014).

La notion d’interlinguisme méthodologique que j’ai commencé à développer dans un article paru en 2013, vise à construire un point d’observation différent : appréhender le réel langagier soumis à l’analyse (corpus), à l’interprétation des données (analyse), et à la projection des dispositifs (enseignement, aménagement, programmes de coopération), du point de vue des relations entre les langues plutôt que de celui de chacune des langues. Il s’agit, à chaque fois qu’on travaille dans le domaine des langues, d’adopter une méthode d’analyse dont l’objet se construit entre les langues (et entre les cultures) à partir des situations d´exposition aux langues vécues par les sujets sociaux, au lieu de voir ce qui se passe dans chaque langue et dans chaque culture. Il ne s’agit pas de faire l’impasse sur l’enseignement/apprentissage de chaque langue, au contraire, mais de mieux favoriser leur mise en relation. Très concrètement par exemple dans le cas des échanges Comenius et Erasmus, observer la construction de l’interaction langagière réelle : la sélection alternée des langues, les ajustements d’intercompréhension dans tel ou tel espace d’interlocution. Pas certain que les choses soient aussi simples que ce que les auto-déclarations d’enquête ont pu rapporter.

C’est en connaissant mieux les pratiques langagières réelles que l’on peut élaborer des approches didactiques adaptées en termes de compétences spécifiques impliquées par des actions et des situations, développer des dispositifs qui favorisent l’appropriation et la compétencialisation situées et orienter les politiques linguistiques éducatives.

C’est ce que nous essayons de faire avec des collègues d’Argentine et du Brésil en répondant à des demandes d’enquêtes sur les pratiques du français en Amérique du Sud, en particulier en ce moment pour les pratiques académiques et professionnelles qui ne sont évidemment pas monolingues mais construites en relation avec d’autres langues.

C’est un long travail qui passe par l’identification des locuteurs de langue française dans ces contextes, la connaissance de leurs parcours d’appropriation, les situations qui en déclenchent des utilisations dans telle ou telle compétence avec telle(s) ou telle(s) co-langue(s) d’action et la description des formes les plus fréquentes. Nous avons commencé au Brésil (Cunha, Lousada, Chardenet, 2018) et nous continuons actuellement en Argentine et au Brésil avec sept collègues (Universidad Nacional de Tres de Febrero, Universidad Nacional de Tucumán, Universidade de São Paulo, Universidade Federal de Viçosa, Universidade Estadual de Londrina) et une douzaine d’étudiants de doctorat, de master et de licence. Agir dans une langue, c’est ce que nous avons appelé « les pratiques professionnelles de la langue » pour les distinguer des « usages » et « emplois » tels qu’ils ont déjà été définis par Widdowson  dans le cadre des théories de la communication et de l’approche communicative en didactique des langues. « Usage » et « emploi » sont des notions théoriques qui permettent d’élaborer les transpositions didactiques de l’approche communicative comme l’élaboration de programmes autour d’actes de langage pré-définis dans des situations de communication pré-définies (donc relativement normatives). Ces théories de la communication ont montré leurs limites quand est apparu dans les années 1990 en Europe autour du  Cadre européen commun de référence pour les langues, la problématique de l’interaction sociale langagière en contexte plurilingue, de la valeur actionnelle de la langue. C’est pour éviter la confusion avec les notions d’ « usage » et d’ « emploi » que nous parlons de « pratiques linguistiques » qui incluent la sélection langagière dans telle ou telle langue (et donc « pratique langagière », son actualisation formelle)

Ce sont là quelques exemples d’application sur le terrain de la recherche, du paradigme de l’interlinguisme méthodologique.

Entretien réalisé par Youcef BACHA, doctorant en didactique du plurilinguisme/Sociodidactique, Laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida2, Algérie.

Références bibliographiques

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[1]Eurydice – L’essentiel de … Chiffres clés de l’enseignement des langues à l’école en Europe –Édition 2017. Agence exécutive «Éducation, audiovisuel et culture». doi:10.2797/460059

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