Le cinéma algérien : petite histoire d’un grand échec

Le cinéma algérien est dans une situation que les professionnels du secteur n’hésitent pas à qualifier de « catastrophique ». Certains vont jusqu’à dire qu’il n’existe pas de cinéma en Algérie. « Des films oui, mais pas de cinéma », comme dirait Serge Daney.

Avant 1954 : la rage de l’exotisme

Comme plusieurs autres expressions artistiques dont la littérature et la peinture, le cinéma en Algérie est né bien avant 1954, un cinéma dit algérianiste où l’Algérie ne sert que de décor à des œuvres pétries d’intentions exotiques, ce qui produit une déformation totale de la réalité algérienne pour en faire un univers paradisiaque où l’on assiste à des histoires extraordinaires et à de merveilleuses aventures qui s’apparentent au légendaire.

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Vers la fin du XIXème siècle, alors que l’Algérie constitue toujours le terrain favorable à un exotisme aux penchants jubilatoires pour les Occidentaux, débutent les tournages des premiers films dont Le Musulman rigolo et Ali Barboyou  de Georges  Méliès. Selon Rachid Boudjedra, dans son ouvrage intitulé Naissance du cinéma algérien, les tâtonnements vers un cinéma moins exotique se remarquent chez un cinéaste nommé Mesguisch : « Cela n’empêche que Mesguischsera un des rares cinéastes français à avoir tenté de voir la réalité algérienne d’un peu plus près. Il enregistre de remarquables bandes d’actualité : La Prière du muezzin, Marché arabe, etc. On ne retrouve plus après lui ce souci de filmer une Afrique du nord dans sa réalité complexe et originale, » écrit-il. Vers 1920, le public européen exige des films encore plus démonstratifs, des productions héroïsant le Chrétien-Européen face à la fourberie, l’immoralité, la déloyauté et la violence de l’indigène. Ces productions cinématographiques sont toujours l’instrument de défiguration de la réalité algérienne par le biais de scènes et séquences exposant des Arabes aux sourires larges, une femme qui pétrit la pâte, un vieil-homme au burnous grotesque ; tout cela est représenté dans Le fils du soleil de René Le Somptier. Ce n’est que vers 1954, les thèmes évoquant un Français brave et un Arabe lâche cessent de faire plaisir aux cinéphiles et se font écarter des projets à venir.

Après 54 : la guerre au cinéma

Durant la Guerre de Libération,  et même après, les productions cinématographiques des Algériens sur leur propre sol sont inexistantes. C’est après l’Indépendance de l’Algérie en 1962 que la flamme d’un cinéma en rupture commence à faire ses débuts et intégrer la scène d’un septième art digne de son nom. La Bataille d’Alger, un film algéro-italien de Gillo Pontecrovo réalisé en 1966  retrace l’histoire du combattant algérien Ali La Pointe et sa poursuite pas les parachutistes français pendant la Guerre de Libération, entre 1954 et 1957. Ce film, par son apport historique et artistique, marque l’imaginaire collectif algérien en tant que production cinématographique de référence jusqu’à nos jours. Il a remporté Le Rubans d’argent du meilleur scénario ; il s’agit du seul film dans l’histoire des Oscars à être nommé lors de deux années non-consécutives, pour la catégorie meilleur film en langue étrangère en 1967 et pour l’Oscar du Meilleur réalisateur et du meilleur scénario original en 1969. Dans la même veine révolutionnaire, Patrouille à l’est, un long métrage algérien réalisé par Amar Laskri qui revient à son tour sur les événements de la Guerre d’Algérie. Ce film culte accompagne les générations jusqu’aujourd’hui avec sa scène « Yaw Alikom Men Guelma », montrant un vieil homme du haut d’une montagne qui prévient les combattants de la venue des troupes de l’Armée française.  Il y a eu par la suite Nahla de Beloufa, Le vent des Aurès de Hamina, etc.

Sortir du ghetto colonial

Depuis toujours, la problématique de l’authenticité dans le cinéma algérien accompagne les productions du septième art, un sujet interrogeant le lien entre « réalité algérienne » et « degré de représentativité ». Benjamin Stora explique cette problématique : « À l’origine du cinéma algérien, il y a cette question des films « vrais », « authentiques », celle de l’équilibre fragile entre la nécessité de raconter la vraie vie du colonisé et le besoin de s’échapper du ghetto identitaire construit par l’histoire coloniale. » Cette vision ne s’estompe que durant les années 70 où le cinéma algérien se défait totalement des problématiques de type colonisé-colonisateur, et passe entre les mains de grands artistes à la notoriété internationale à l’instar de Rachid Boudjedra, Mohammed Lakhdar Hamina avec leur film phare Chroniques des années de braise qui obtient le prestigieux prix Palme d’or de la 28ème édition du Festival de Cannes.

De ce fait, le cinéma se voulant témoin concret d’une époque, change d’orientation et prend en charge les préoccupations de la société algérienne à l’instar du phénomène de l’immigration traité dans Ali au pays des mirages d’Ahmed Rachedi. D’autres critiques de la société qui figurent dans les films de comédie comme Omar Gatlato de Merzak Alouache ou Hassen Nya porté à l’écran par Rouiched, sans oublier Deux femmes et Carnaval fi Dechra d’Athmane Ariouat. Ce dernier fait l’objet d’un rôle principal dans l’illustre film L’Epopée de Cheikh Bouamama réalisé en 1986 et qui revient sur cette figure emblématique et ses luttes contre la colonisation française : Cheikh Bouamama. En effet, ces artistes accompagnent les nouvelles générations d’acteurs et réalisateurs jusqu’au début des années 2000 où le cinéma algérien commence à s’engouffrer dans le taudis de l’insuffisance, excepté quelques films réalisés par Merzak Alouache, Belkacem Hadjadj, Abdelkrim Bahloul, Bachir Derrais ou encore Ali Mouzaoui.

Le règne de la censure

Aujourd’hui, les productions cinématographiques algériennes se font rares du point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif : le manque de financement, l’inexistence d’un circuit de distributions, l’absence d’une politique cinématographique, la censure et l’autocensure, la corruption et le népotisme font qu’il est extrêmement difficile de réaliser un film de qualité 100% algérien et de lui assurer la promotion qu’il faut dans le monde. Mais de tous les obstacles à la création cinématographique, la censure reste le souci majeur de tous les réalisateurs parce que, même quand les financements et les possibilités de promotion existent, un blocage systématique peut intervenir à cause d’une scène, d’un mot ou d’une image qui peuvent être jugés attentatoires à l’unité nationale, à l’État ou à ce que l’on appelle « les constantes nationales », et briser l’engrenage. Cette situation de non-organisation et de non-politique et de musellement de la liberté de création fait que, pour une scène quelque peu idyllique dans un film, on peut provoquer l’interdiction de toute une production cinématographique et détruire tout son organisme en le poussant vers la faillite. C’est le cas du sitcom Kakious et Dakious de Nabil Asli qui a été interdit de diffusion pendant le ramadhan. « Comment va-t-on payer touts ceux qui ont contribué à la réalisation de ce travail, » s’est interrogé Nabil Asli qui se voit acculé à la faillite en appelant le Chef de l’État à intervenir contre cet arbitraire flagrant. On a aussi vu L’Oranais de Lyès Salem, Papicha de Mounia Meddour, des films palpitants, qui ont été censurés sans qu’une explication recevable ne soit donnée par quelque partie que ce soit.

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Toutefois, la censure ne touche pas que les films de fiction. Elle concerne aussi le film documentaire, notamment quand il porte sur l’Histoire du pays. Tout le monde se rappelle du tollé soulevé par le film documentaire de Bachir Derrais sur Larbi Ben M’hidi.  Malek Bensmail, talentueux réalisateur dont le film Contre-pouvoirs sur la presse a été censuré, dit à propos de cela : «  Nous sommes encore sous l’égide de l’écriture officielle de l’histoire. Un film historique financé par le ministère des Moudjahidines [l’équivalent des anciens combattants, NDLR] et le ministère de la Culture, ce qui a été le cas pour Bachir Derraïs en l’occurrence, peut être bloqué et ne jamais sortir en Algérie. Ce sont deux ministères conventionnels et académiques. Ils défendront toujours la figure intouchable du martyr. Nous ne sommes pas dans un pays démocratique, le système fonctionne ainsi. Il y a des moments où la bureaucratie algérienne se relâche sur certains sujets et pas d’autres. Il faut trouver le bon moment. Ce sont des équations et des adéquations permanentes. »

La co-production : une voie de sortie de la crise ?

La nouvelle génération de réalisateurs algériens à l’image de Karim Moussaoui, Amine Sidi Boumediene, Fatma Zohra Zamoum, Hassane Ferhani, Malek Bensmail, Mounia Meddour, Lyès Salem, etc., arrive, malgré tous ses obstacles, à produire des films, souvent d’une qualité technique indéniable et d’une audace artistique à la fois bouleversante et originale. À mon âge je me cache encore pour fumer de Rayhana Obermeyer, ou  Parfums d’Alger de Rachid Benhadj, Papicha de Mounia Meddour, Parkours de Fatma-Zohra Zamoum, En attendant les hirondelles et Le Jour d’avant de Krim Moussaoui, Viva Laldjérie ou Délice Paloma de Nadir Moknèche sont autant de bons films qui restituent la réalité algérienne dans toute sa complexité et avec un souffle artistique qui force l’admiration.

Ces films, souvent censurés en Algérie comme c’est le cas du dernier en date, Papicha de Mounia Meddour, se font primer à l’étranger, dans les plus grands festivals du cinéma à travers le monde. Toutefois, ces films, parce qu’ils ont une liberté de ton insoluble dans le dogme régissant la création artistiques en Algérie, ne sont pas des films 100% algériens. Très souvent, ce sont des coproductions, notamment avec la France, le Qatar, la Belgique ou la Syrie. C’est le cas notamment du long métrage Abou Leila du réalisateur Amine Sidi Boumediene qui a reçu récemment le Prix de la critique de l’édition 2020 du Festival du film de Barcelone qui est co-produit par l’Algérie, la France et le Qatar. Une question se pose dès lors : la co-production peut-elle aider l’Algérie à avoir son cinéma ?

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En attendant, il faut dire que même si les quelques belles fulgurances qui enchantent le grand écran de temps à autre viennent rappeler qu’il est possible de faire du cinéma en Algérie, il est indéniable que parler d’un « cinéma algérien » au sens propre du mot est pour le moins abusif. Avant qu’une politique cinématographique volontariste et reposant sur une vision claire et s’inscrivant dans le long terme et dont des objectifs précis sont fixés au préalable soit mise en place, il est plus correct de parler de « films algériens ».

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