Lettre à Abdelkader Djeghloul

Salut Kader,

Maintenant, nous le savons tous. L’intelligence ne peut rien contre la mort. Ni contre la bêtise d’ailleurs. Elle peut juste donner, parfois, l’illusion de les apprivoiser. Ou de les côtoyer sans les fréquenter. Avant de se rendre, pour la énième fois, à l’évidence. Celle de leur omniprésence. Et de leur omnipotence. De leur étroite et insidieuse connivence. Celle qui finit par éroder les âmes et les consciences. Mais que de fois tu as su narguer leur sournoise et constante arrogance. D’abord en allumant un feu exorciseur dans des milliers de têtes d’étudiants qui se bousculaient jusqu’aux recoins humides des couloirs, l’amphithéâtre étant archicomble, pour récolter leur dose hebdomadaire d’esprit. En ces temps, l’Humanité entière s’abreuvait des valeurs de générosité. Humanisme, internationalisme, solidarité ou d’autres mots encore, fusaient de toutes les fissures des systèmes. Chacun échafaudait le meilleur stratagème pour sauver le monde. Et les raisonnements cédaient souvent le pas à l’excitation. Parfois aux claquements de portes. Mais dans tous les cas, l’intention était cosmique. Complice de la démesure. Ta voix résonnait jusque dans la moiteur des chambres universitaires, véritables laboratoires d’humanités futures où les révolutions et les ordres du monde, se défaisaient et se refaisaient au gré de quelques maigres et passagères lectures. Parfois aussi autour d’un de ces plateaux en aluminium qu’on ramenait du restaurant universitaire contre un jeton noir et qui contenait plus d’eau que de youyous. Mais qui était, souvent, gorgé d’éclats de rires. En ce temps, le pays entier se fardait des lampions de l’espoir. Et tu as su le rendre sacrément contagieux. Contagieux et fringant. Comme tu as su nous apprendre à dire non au cortège de certitudes mortifères qui pointaient déjà dangereusement du nez. Avant la tombée du voile. Et nombre de tes textes prémonitoires permettent encore aujourd’hui de mieux saisir la genèse de la germination de la malédiction. Ces œuvres de l’esprit, quintessence de tes offrandes à ton pays que tu aimais tant, que les petits enfants des petits enfants de tes étudiants liront avec la même délectation. À présent, tu vas pouvoir enfin t’entretenir avec Atfiyach, Ould Echeikh, Sidi Mhamed Ben Rahal, Ibrahim Bayoud, Choukri Khodja, Mestfa Ben Brahim, Hamdan Khodja, Tahar Haddad, le poète Belkheir, le militant Aly El Hamamy, ou l’Emir Khaled. Toutes ces figures, et d’autres encore, que tu as su restituer à la mémoire de la Nation au moment où les yeux étaient rivés sur les monstres sacrés de l’Epistémè occidentale, autrement plus gratifiante. Tu nous enverras, j’en suis certain, d’autres lettres, de nouvelles lettres pour l’Algérie. Nous les reconnaitront entre mille, car elles porteront, comme les précédentes, l’empreinte de ta capacité de synthèse phénoménale et ta limpidité d’écriture proverbiale.

Lire aussi: Abdelkader Djeghloul, la quête du sens contrariée

Lire aussi: « Éléments d’histoire culturelle algérienne » ou la mémoire recomposée

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *