Nahla Naili, l’art d’être une femme-révolution

Nahla Naili est une révolution. Dynamique, enthousiaste, belle, elle incarne à la fois la fougue d’une femme convaincue et passionnée  et l’élégance d’un esprit responsable. Jeune, bien formée, cultivée et ouverte sur le monde, elle représente l’archétype de l’Algérienne qui « en a marre » de mener une vie au rabais et qui, résolue à prendre part au mouvement de l’Histoire, s’engage à faire entendre sa voix. Partout. Avec le sourire d’acier qui ne quitte jamais son visage, elle est omniprésente. Sur tous les fronts : arts, recherches, engagement citoyen, sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel, etc., elle mène mille et une batailles au quotidien pour démontrer, par les actes, que l’Algérie peut donner naissance à autre chose que… la tristesse et le renoncement.

Au commencement était la Casbah

Dans Les anges meurent de nos blessures, le charmant Yasmina Khadra nous rappelle avec bonheur  le pouvoir que la Casbah d’Alger a sur les humains : « C’est à Alger, chez un petit barbier de la Casbah, le 28 avril 1882, que Karl Marx, ce légendaire barbu, s’est rasé la barbe pour se reconnaître dans la glace. » Nahla Naili n’a pas échappé à cette fatalité. Bien que né à Hydra, c’est à la Casbah, matrice de sa famille, que sa vraie naissance a eu lieu. Fille de Rabah Naili, Professeur en génie électronique et spécialisé en météorologie originaire d’Azefoun et de Hafida Bouhired, styliste modéliste originaire d’El Aouana dont la famille vivait à la Casbah d’Alger, elle a vu le jour le 14 novembre 1986. « Je suis née à Hydra. Mais ma renaissance a, en effet, eu lieu à la Casbah d’Alger. Mon père est originaire d’Azzefoun et entretient un lien privilégié avec cette fabuleuse région de l’Algérie. Quant à moi, je suis née, j’ai grandi, j’ai étudié à Alger et Alger pour moi, c’est d’abord la Casbah, » dit-elle. La famille au sein de laquelle Nahla est née occupait une maison à la Casbah qui était un des refuges principaux du FLN, notamment pendant la bataille d’Alger. Son grand-père maternel, Mustapha Bouhired, était un ancien joueur de Racing Club de Paris puis journaliste sportif à Alger Républicain. Il a participé à la Seconde Guerre mondiale pour la libération de la France avant de devenir militant FLN de la révolution algérienne, et de tomber sous les balles coloniales, à la Casbah, le 14 mars 1957. Sa grand-mère maternelle, Fatiha Bouhired, était elle aussi militante comme son mari, et durant toute la guerre d’Algérie, les maisons de la famille à la Casbah ont servi de refuge aux principaux dirigeants de la guérilla urbaine à Alger. Elle a été arrêtée deux fois au domicilie familial, dont l’une avec Yacef Saâdi, Zohra Drif, ainsi qu’avec sa fille Hafida Bouhired, alors âgée de 6 mois et emprisonnée à la prison de Serkadji puis relâchée, comme cela a été relaté par Danièle Djamila Amrane-Minne dans son livre Des femmes dans la guerre d’Algérie.

Cette relation familiale qui lie Nahla à la Casbah d’Alger, pour ordinaire qu’elle puisse paraitre, a joué un rôle déterminant dans la révélation de la jeune femme à elle-même et, par la suite, dans les choix qu’elle va faire car, la Casbah ne se contente pas d’inspirer, elle donne des injonctions. « Ma renaissance à la Casbah d’Alger, joyau urbain de l’Algérie et Patrimoine de l’Humanité, a eu lieu, à un moment de ma vie, où je m’interrogeais sur qui j’étais, mon identité, mon histoire, le sens que je voudrais donner à mon travail, à ma vie. L’histoire m’a ramenée vers la Casbah. Cette médina exaltait ma créativité, mon sentiment d’appartenir à un ensemble qui me dépassait : l’Algérie, l’arabité, l’amazighité, la Méditerranée, le Grand Maghreb et l’Afrique, » avoue-t-elle en assurant que, plus qu’un lieu, la Casbah représente pour elle le creuset de tout ce qui fait la richesse d’Alger et qui la hisse au rang d’une des villes les plus emblématiques, les plus émouvantes et les plus obsessionnelles du bassin méditerranée. 

Sauver l’art, c’est l’essentiel

Nahla est une fille passionnée. Mais, perdue dans les dédales de ses passions, elle va faire un long détour avant de revenir à l’essentiel : l’art. « Rien ne me prédestinait à une carrière d’artiste. Après mon bac en 2007, j’ai choisi l’architecture, en fréquentant l’école polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger. Ensuite, j’ai étudié l’administration économique et les échanges internationaux à Paris 12, l’aménagement d’intérieur à l’essai Bessil à Montpelier, et encore l’architecture à l’école africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme en Afrique de l’ouest, au Togo. Ce n’est qu’en 2011 que j’intègrerais l’école des beaux-arts d’Alger, pensant me spécialiser en design Aménagement ! Mais voilà, en cours de route, j’avais été́ initiée à la sculpture, et rien que l’idée d’imaginer que je pouvais faire de cette pratique mon métier, me rendait heureuse, » dit-elle en laissant entendre que ce choix s’est imposé à elle parce que seul l’art pouvait faire éclore les rêves qui se sont injectés en elle au contact de la Casbah.

Lire aussi: « Les Arts et le Patrimoine d’Alger doivent être au cœur d’une stratégie de développement de la ville » (Nahla Naili, Présidente de l’AAPA)

Toutefois, en pénétrant le milieu artistique algérien, Nahla découvre son indigence et prend conscience des difficultés auxquelles elle allait inévitablement être confrontée en tant qu’artiste, ce qui, progressivement, motivera son engagement. « J’ai très vite été confrontée à la réalité de l’artiste dans la société algérienne. Ce qui m’a conduit, plus tard,  au militantisme culturel et politique, » explique-t-elle. Mais pour Nahla, aussitôt le choix fait, l’action suit.

En effet, en 2011, alors qu’elle est toujours étudiante dans les Beaux-Arts d’Alger, elle s’engage pour valoriser le patrimoine et encourager sa sauvegarde dans l’association Sauvons la Casbah d’Alger présidée par Houria Bouhired, sa tante maternelle avec qui elle « a appris la passion du patrimoine algérien ». Elle occupe le poste de Trésorière et participe aux différentes activités de l’association. « Ainsi, ma formation à l’école des Beaux-arts d’Alger fusionne avec mon militantisme dans la société civile pour donner naissance à une pratique urbaine de la sculpture développée autour de la création et du patrimoine urbain dans l’Algérie d’aujourd’hui, » indique-t-elle pour exprimer la complémentarité entre son engament associatif et ses études. Mais pas seulement. La situation de l’art, du patrimoine et, plus globalement de la culture, étant dramatique, des défis énormes doivent être relevés et Nahla y est très sensible. Tout en étant membre et secrétaire générale adjointe de l’association Sauvons la Casbah d’Alger, elle co-fonde avec d’autres jeunes de sa génération le Mouvement de la Jeunesse Eveillée pour toucher à des question plus globales parce que, se rend-t-elle compte, « il n’est pas possible de défendre les secteurs séparément » et que « une ambiance générale favorable, basée à la fois sur une stratégie étatique volontariste et un engagement citoyen  pérenne, peut permettre l’épanouissement de l’Algérie ». Parallèlement, en 2012, Nahla se fait élire Présidente du Comité autonome et représentatif des étudiants des Beaux-arts d’Alger, le CAREBA. «  Avec un bureau exécutif de choc, on tentera jusqu’en 2014, à travers cette organisation estudiantine qui avait l’Age de l’institution des Beaux-Arts, de défendre l’importance de l’art, des artistes et de la formation artistique dans la consolidation des valeurs de la société algérienne. Nous mènerons des actions comme ‘‘l’art dans nos rues’’ avec l’APC d’Alger-centre et ferons une proposition de réforme, au conseil d’administration de l’école des Beaux-Arts, pour développer les programmes de formations artistiques en Algérie, » révèle-t-elle avec une pointe d’amertume dans l’intonation tant est que son engagement, bien que déterminé et enthousiaste, n’a pas eu raison de la rigidité bureaucratique des responsable de l’École. En effet, ans le cadre de ce Comité, Nahla et ses amis ont réitéré des revendications vieilles de plus de 30 ans, portées par leurs aînés, dont le plasticien Karim Sergoua, mais vainement. Pour elle, la sourde oreille qu’affichent les responsables devant les doléances des artistes algériens traduit à elle seule la profondeur du mal qui ronge le secteur de l’art. Faut-il pour autant jeter l’éponge ? « Non, insiste Nahla, c’est justement quand les choses vont le plus mal qu’il fait réaffirmer son engagement. »

Une artiste originale

Fécondé par un ancrage plurigénérationnelle dans le cœur d’Alger, la Casbah, un patriotisme flamboyant hérité de la révolution algérienne, une errance enrichissante à travers le monde, une sensibilité à fleur de l’âme, une humanité jubilante, une audace politique complètement décomplexée, l’imaginaire de Nahla va donner naissance à une manière très authentique de faire la sculpture. Ses engagements multiples lui ont appris, au fil du temps, qu’il est insensé d’ériger une citadelle au milieu d’un champ de ruine. La ville étant un écosystème avec ses organes vitaux, son visage et son âme, on ne peut pas s’y prendre comme face à ensemble fragmenté. Tous ses éléments doivent être pris en considération pour produire un art  majeur.  C’est son crédo.

Vesica pescis ou le mouvement de Dieu

« Ma pratique se dessinait au fil de mon engagement, donnant naissance à une forme de sculpture peu commune ‘‘l’Archisculpture’’, au carrefour des préoccupations esthétiques, sociales, urbanistiques, politiques et culturelles de la ville, des proportions de l’œuvre urbaine, du rapport du citoyen à l’art, à l’artiste, à l’œuvre d’art, » résume-t-elle avant de d’ajouter : «  Très imprégnée de l’œuvre de mon maître feu Noureddine Ferroukhi, artiste peintre, commissaire d’exposition, historien de l’art, muséologue et auteur, notamment d’un formidable livre Balad’art en Terre d’Islam, je ressentais le besoin de synthétiser ma compréhension de l’art dans un œuvre plastique, qui parlerait à tous. Aux enfants, à ceux qui apprécient l’art et à ceux qui ne le connaissent pas, à des générations dont la perception des choses étaient différentes de la mienne. Plus qu’un objet d’art, je voulais que mes sculptures soient des manifestes politiques pour une Algérie Souveraine, Culturelle et Artistique ! » Pour Nahla, l’art est à la fois une passion, une science sociale, une science humaine, et une façon d’être algérienne, de vivre et de construire son rapport au monde et aux autres : « Ce qui inspire ma création, c’est la pluralité de l’identité algérienne, les cultures du monde, le patrimoine culturel et spécialement l’immatériel, le fait que nous soyons si différents et semblables à la fois. C’est d’interroger, comprendre et transcrire, par le médium de l’œuvre, les émotions humaines, les idées, les réflexions que peuvent inspirer des sculptures à celui qui les regardent. Ce qui fait l’essence de ma créativité n’est autre que mon regard sur le monde. Un regard que je tente d’éduquer, de renouveler, de discuter et de remettre continuellement en question pour apprendre et me distancier de mes acquis pour les valider. Je crée pour exprimer des idées qui ne sauraient être dites autrement que par une œuvre plastique. »

Le scorpion ou L’étoile du matin

En 2016, Nahla obtient son Diplôme d’enseignement supérieur artistique (le DESA) aux Beaux-arts d’Alger, sous la direction de Nourdinne Ferroukhi et Rafik Khechba. Son projet, nous informe-t-elle, a porté sur la restitution des portes de la Casbah en installation « archisculpturale » fonctionnelle. Son objectif, à travers ce travail de recherche, est « de mettre en valeur le patrimoine millénaire et universel de la Casbah, notamment par l’utilisation des nouvelles technologies qui transforment l’humidité́ présente dans l’air en eau potable, bénéfique pour la santé. » «Après ça, j ’ai décidé d’approfondir cette question de dialogue entre l’art contemporain et le patrimoine, dans une recherche doctorale en arts plastiques et sciences de l’art à l’université de Paris 1, Panthéon Sorbonne, sous la direction du Professeur Richard Conte, avec qui, j’ai l’immense honneur d’apprendre depuis 2016, le langage subtile et sophistiqué de l’art contemporain et de la création artistique. »

La politique et l’art : un même engagement

Pour Nahla, la politique et l’art sont indissociable. Elle dit que, « dès ses premières années aux Beaux-arts, une thématique principale a été développée que l’on trouve encore aujourd’hui dans sa recherche doctorale sur la création et le patrimoine urbain : l’art et la politique avec tous les thèmes sous-jacents comme l’identité, la place de la femme dans la société algérienne, le sacré et le profane, la liberté d’expression et de création, l’engagement, la ville, le patrimoine matériel et immatériel, etc. » C’est pour quoi, explique-elle, elle ne dissocie pas sa pratique artistique, dans l’intimité de son atelier, de son engagement politique et citoyen. « En mars 2017, je rejoins le réseau NET MED YOUTH de l’UNESCO, où je reçois jusqu’en 2018 d’excellentes formations, notamment sur la sensibilisation de la population résiliente à la valeur du patrimoine culturel, l’utilisation de l’outil digital dans la promotion du patrimoine et le management de projet participatif public / privé / société civile. En 2019, j’intègre le forum Arabe des jeunes professionnels du patrimoine Mondial de l’UNESCO et reçois une formation de contre-terrorisme sur la prévention de la violence extrémiste par l’éducation, la culture et la science. La même année, j’ai mis en place l’Association Art et Patrimoine d’Alger pour la sauvegarde et la valorisation des richesses matérielles et immatérielles de cette ville. Aujourd’hui, ma pratique artistique s’apparente à la pratique d’un art d’intervention, par lequel je tente d’investir la réalité immédiate. Plutôt que de jouer sur le phénomène des apparences, ma pratique artistique s’insère dans la réalité qui la produit », affirme Nahla qui considère que, « au-delà du fait d’avoir grandi dans un environnement familial où l’engagement civil est important », c’est l’idée « du militantisme et de l’apport indispensable du citoyen à l’édification d’une société » qu’elle vise à faire valoir.

La théorie du bonheur

« Le principe de l’engagement associatif est justement de ne rien attendre en retour. Je milite pour accomplir mon devoir citoyen envers mon pays, ma culture, mon histoire, mon identité, moi-même et ces générations d’Algériens pas encore nés. Je milite bénévolement pour défendre la mémoire de nos valeureux martyres dont fait partie mon grand-père, Mustapha Bouhired, assassiné, le 14 Mars 1957 ». Pour Nahla, les bénéfices de l’engagement dans la société civile sont immatériels ; ce sont des bénéfices émotionnels. « J’y gagne de la satisfaction, de la fierté, du pur bonheur à rencontrer des personnes exceptionnelles, des projets humanistes époustouflants. J’apprends beaucoup, et le savoir est pour moi la plus belle rétribution. Finalement, mon engagement enrichit mon expérience humaine et l’embellit d’inspirations, tout en renforçant mon expérience des administrations publiques et des procédures de financement privé et public, ainsi que participatif, » nous apprend-elle encore. Nahla est une femme dont le parcours et la passion artistique s’entremêle jusqu’à n’en faire qu’une seule entité dont l’unique objectif est de toujours tendre vers plus de beauté, plus de liberté. « Je crois que ce qui fait aussi l’essence de ma créativité, c’est mon parcours, les gens que je rencontre et qui m’inspirent en laissant une trace indélébile sur mon âme. Les expériences que je vis et qui me nourrissent. C’est aussi les drames que j’ai pu connaitre et ce que j’en fais. Je crois sincèrement que ma créativité est une thérapie, un moyen de donner du sens au chaos pour enfanter une étoile qui danse, pour reprendre Nietzche, et de transformer le laid en beau. Le choix de mes thématiques est donc toujours en lien avec un contexte, une réalité immédiate sur laquelle, je tente d’intervenir par une pratique artistique développée où le discours occupe une place très importante, et devient matériau de création de nouvelles situations, » affirme-t-elle avec sérénité.

Nahla, une artiste bourrée de talents, une femme studieuse, rêveuse, passionnée, est une révolution silencieuse. Elle est révolution parce que, en plus de son art dont l’originalité est étourdissante et son engagement citoyen permanent, elle incite à l’effort, elle fait rêver, elle passionne. Silencieuse parce qu’il est davantage question d’ardeur que de bruit sur son chemin.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *