Quand les fresques murales revisitent le passé artistique et révolutionnaire algérien

Des fresques murales et graffitis richement colorés, ornent de plus en plus les murs de plusieurs quartiers d’Alger, réalisés par de jeunes artistes-peintres dont des membres de groupes des « Ultras » pour exprimer à leur façon, leur amour pour leur club de football préféré ou rendre hommage aux héros de la Révolution algérienne, a-t-on appris d’un reportage de l’APS.

C’est au célèbre quartier de Bab El Oued qu’ont été réalisées les premières fresques murales, dédiées par des fans de foot à leur club préféré, à l’image du MC Alger et de l’USM Alger, deux grandes formations sportives rivales qui ont poussé les jeunes à faire preuve d’ingéniosité pour exprimer leur talent d’artiste et montrer leur amour aux Rouges et Noirs « usmistes » et aux Verts et Rouges, dits « Chenaoua » (Chinois) en raison de leur grand nombre à l’intérieur et l’extérieur de la capitale.

L’une des fresques les plus remarquées, au niveau de ce quartier mythique, est sans nul doute celle dédiée, par le groupe Ouled El-Bahdja à l’ex-défenseur international de l’USMA dans les années 1970, le défunt Djamel Keddou.

Ce dernier, un des symboles des Rouges et Noirs, n’a connu qu’un seul club durant toute sa carrière de footballeur. La légende de Keddou le Sheriff, inscrite sur la fresque illustre tout le charisme du libéro de charme, vainqueur avec l’Algérie de la médaille d’or des jeux Méditerranéens Alger-1975 aux dépens de la France (3-2).

Les fresques murales des Usmistes d’Alger glorifient, par ailleurs, des personnalités et artistes qui ont marqué l’histoire du club : anciens dirigeants, joueurs ou des Chouyoukhs du chant Echaabi, à l’image de Hadj M’hamed El Anka (1907-1978) pour qui une fresque a été réalisée à la Casbah, à proximité du siège où a été fondé le club, El Hadj El Hachemi Guerouabi (1938-2006) fervent supporter de l’USMA qui a exprimé son amour pour le club de Soustara, aussi bien à partir des gradins du stade Bologhine que sur les scènes artistiques.

Dans le camp rival, celui des Mouloudéens, le maître du Chaabi, El Anka, est tout aussi vénéré, étant considéré comme un patrimoine immatériel commun aux supporters des deux clubs rivaux. Son portrait, réalisé sur des « tifo » dans les stades, n’est d’ailleurs pas passé inaperçu dans les tribunes du stade 5-Juillet lors des derbies MCA-USMA.

Le défunt artiste Hadj Mrizek (1912-1955) est l’autre chanteur célébré par les fans du MCA, qui ont également dressé son portrait sur des fresques. Le regretté, qui a chanté le Mouloudia, a été dirigeant du club durant la période coloniale.

Le Street art a également mis en valeur, sur des fresques murales, une autre icône du chaabi, Amar Ezzahi (1941-2016), un chanteur particulièrement apprécié par les jeunes, et dont les supporters des deux clubs algérois se disputent, jusqu’à présent, l’appartenance.

Dans leur fief, les supporters du MCA, à travers leurs groupes Ultras, notamment les Green Corsairs et Twelfth player, ont orné les murs et murailles de portraits du Chahid et héros de la Casbah, Ali La Pointe (1930-1957), symbolisant la bataille d’Alger et le sacrifice du jeune révolutionnaire algérien.

D’autres graffitis mettent en relief le sigle du MCA sur fond de couleurs vert et rouge, orné d’un croissant lunaire et le chiffre 1921, celui de l’année de création du club.

Le Hirak comme source d’inspiration

Au début de l’année 2019, l’Algérie a assisté à un événement important dans son histoire, à travers les manifestations populaires du Hirak appelant à un changement pacifique et radicale des systèmes politiques qui dirigent le pays depuis 1962, ce qui a constitué une source d’inspiration pour de nombreux créateurs dans divers domaines.

Dans ce contexte, le groupe Street art Battalion de Jijel, composé de trois artistes (Houssem, Amine et Okba) et dont la popularité s’est accrue avec le Hirak, espère apporter un « changement positif » par ses dessins.

« Notre première fresque murale a abordé l’idée de la liberté, puis nous avons évoqué le rejet de la guerre et la promotion de la paix afin d’éviter les erreurs du passé, comme cela s’est produit pendant la décennie noire », ont-t-ils dit, selon l’APS.

A travers ces fresques murales, les jeunes donnent leur avis sur les évènements et considèrent « l’art de la rue » comme « une scène de confrontation, d’attirance et de bousculade entre le peuple et le pouvoir. »

Interrogé sur l’avis de la société, ce trio affirme qu’il est « globalement positif », notamment après le Hirak, même s’il y a certains qui voient ces graffiti comme « une culture étrangère et méconnue chez nous. »

Professeur de sociologie à l’Université d’Alger, Noureddine Bekkis a souligné que l’art des graffitis est pour les jeunes un moyen d’exprimer leur appartenance sportive et aussi prouver que ces quartiers appartiennent à des clubs bien précis, surtout que le public est absent depuis longtemps des stades pour cause de de la Covid-19.

L’académicien a estimé que cette tendance pourrait être « provisoire » et qu’elle prendrait fin avec le retour du public aux stades, « ce qui signifierait le recul de la rivalité idéologique personnalisée par ces fresques murales. »

Pour Noureddine Bekkis, dessiner des personnages comme Ali la Pointe, le Colonel Amirouche ou encore Abane Ramdane est venu à une période témoignant « d’un engagement sentimental important des Algériens qui ont voulu laisser leurs empreintes durant le Hirak. Ce comportement atteste que l’Algérien reste très attaché à son histoire révolutionnaire. »

 

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