Rachid Mimouni, un Algérien jusqu’aux dents

Dans le monde littéraire algérien, il est presque impossible d’entendre les mots « réalisme », « mise à nu », « divulgation », « caricatures », sans les associer à Rachid Mimouni. Un écrivain algérien que les inventaires didactiques de la littérature craignent à classer. Son œuvre échappe à toutes les contraintes idéologiques et les canons esthétiques qu’ont posés quelques uns  de ses prédécesseurs.

Né le 20 novembre 1945 à Boumerdès, Rachid Mimouni est considéré à côté de Rachid Boudjedra, comme l’inaugurateur d’une nouvelle ère de la littérature maghrébine en général et algérienne en particulier. Nommée postcolonial ou autre, cette ère ne peut être définie que par Mimouni lui-même, par son œuvre qui interroge une double présence : un passé qui n’est pas tout a fait passé, et un présent indéfini.  « Rachid Mimouni appartient à la génération d’écrivains de l’après-guerre de  libération qui, bien qu’héritière de la littérature des pionniers, veut, en s’émancipant, inventer un monde et une esthétique qui interrogent ses conditions d’existence. En somme, une génération, née d’un acte libérateur, fait son choix d’être (d’exister) dans la liberté de la justice sociale », écrit Krim Nawel, enseignante-chercheuse en littérature, dans un ouvrage intitulé Rachid Mimouni : ruptures et renouveaux, qu’elle a coordonné. C’est, en effet, le cas de la deuxième œuvre de Rachid Mimouni : Le fleuve détourné, sentence purement politique témoignant d’un chamboulement social et d’un renversement de valeurs inédit, une « confiscation de l’indépendance » comme il aimait si bien le dire et où  il expose la déchéance et la dégringolade dans les enfers de tout un peuple. Un peuple dégingandé, sans référent, ni repère historique clairs. Mimouni peint souvent dans ses romans cette société « malade » de sa propre mémoire, ponctuée de violences et de « peine [s] à vivre », morales soient-elles ou physiques. Une société noyée dans la brutalité de ses actes dirigés vers elle-même et qui ne font qu’aggraver la moisissure de son présent et celle de son avenir. « Le premier coup la cueillit à l’épaule. Elle poussa un cri d’animal atteint par la balle du chasseur […]. Le deuxième coup lui ouvrit l’arcade sourcilière […]. La main tendue de la fille dans une muette et terrible supplication n’eut pour effet que décupler la rage de l’homme, la violence et le rythme de ses gestes », écrit-il dans Tombéza, résumant ainsi les violentes et rageuses contractions que s’inflige la société en question.

Au cœur des débandades houleuses des années du sang, Rachid Mimouni ne s’est pas tu. Face aux meurtres insensés, aux crimes commis par les islamistes-terroristes, Mimouni avait sa plume pour dénoncer et pester contre le non-sens qui régnait sur les actes terroristes.  Dans son ouvrage intitulé De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, Mimouni n’a pas été dans une démarche d’exclusion de tout ce qui venait de la part des islamistes, mais il a fait preuve d’analyse politico-économique et social pour dire l’indicible de leurs méthodes « intégristes » et les détournements interprétatives que subissent des textes jusque-là controversés, pour servir le meurtre et le viol. Tout cela pour répandre et faire répandre leurs idées meurtrières. Pour Mimouni, « si l’on doit parler de l’Algérie,  il faut moins craindre de caricaturer que de rester en dessous de la réalité. »

Or, caricaturer n’est pas un acte sans conséquences sur l’infatigable Mimouni. Il a été maintes fois menacé de mort, ce qui l’a poussé à s’inquiéter de l’avenir de ses enfants. Il s’installe alors au Maroc où il tient pendant deux années une chronique à la radio Medi 1 sur l’actualité politique.

Algérien jusqu’aux dents, maghrébin et méditerranéen par vocation, son génie d’écrivain a fait que ses œuvres font écho jusqu’aujourd’hui de la brûlante actualité avec ses dérives, ses tours et détours ; de l’islam politique, passant par la haine de soi et le vide intellectuel, la violence envers la femme, jusqu’aux crises économiques et la bureaucratie.

 

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