Saïd Sadi : la détermination de l’Homme contre le déterminisme de l’Histoire

Dans un passionnant entretien qu’il a accordé à El Watan à l’occasion de la sortie du premier tome de ses mémoires sous le titre fort évocateur La guerre comme berceau (Ed, Frantz Fanon), Saïd Sadi, auteur et fondateur du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), a vivement insisté sur l’importance du témoignage qu’il considère comme un combat de la même teneur que l’engagement politique. « Il était essentiel de dire d’où est venue la génération d’avril 80 à laquelle j’appartiens et de relater les évènements qui l’ont pétrie. L’autre raison importante qui m’a persuadé d’écrire ces mémoires, c’est la nécessité d’éviter que nos luttes ne connaissent les mutilations et falsifications qui ont marqué les combats de ceux qui  nous ont précédés,» estime-t-il.

Expliquant comment est né l’intérêt que nourrit sa génération pour l’Histoire, Saïd Sadi déclare : « Plus que toute autre génération, la nôtre a été traumatisée par la censure ou l’autocensure des responsables du mouvement national. Objectivement, nous ne pouvions pas rester indifférents aux circonstances exceptionnelles que nous vivions : guerre qui avait marqué notre enfance, indépendance confisquée, désenchantement d’autant plus pénible à endurer qu’il nous tombait dessus à une période de la vie, l’adolescence, où l’on est plutôt enclin à idéaliser les combats […] Plus fondamentalement, nous avons observé que les appétits opportunistes prenaient souvent le pas sur les grandes perspectives. Pour le despote, l’histoire se confond avec sa durée de vie politique. D’où l’absence de considération envers les ainés, c’est à dire le passé et de responsabilité à l’endroit des générations futures. Le premier charlatan venu dicte ses lubies au pays. Cela donne des sociétés sans mémoire et donc sans repères ; fragiles, violentes et instables. Cette amnésie organisée a considérablement gêné la construction nationale. C’est très concret comme dommage. »

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Pour parler de l’impact que l’environnement familial peut avoir sur un enfant et comment l’essentiel de ce qui le marquera se joue à cette période, Sadi dresse le portrait de ses parents, ces deux personnes, dit-il, « qui sont parties de rien, armées de leur seul courage » et qui « ont assuré l’émancipation de leurs enfants dont la réussite a ouvert la voie de la liberté par le savoir à d’autres élèves. » Ce faisant, Saïd Sadi peint avec brio le triomphe de la détermination de l’Homme sur le déterminisme de l’Histoire. « Quand je dis courage, il y a évidemment l’effort physique fait d’abnégation et de sens du sacrifice. Mon père cantonnier n’a jamais connu un jour de repos de sa vie. Quand il n’était pas à son travail, il entretenait ses parcelles, réparait sa maison, captait une source ou fabriquait un outil. Mais c’est le courage moral de mes parents qui m’a le plus marqué. Dire à des cousins auxquels vous lie l’honneur de la tribu que sa fille va faire des études secondaires alors que la chose était entendue au mieux comme une prétention de farfelu au pire comme un reniement de codes sociaux et culturels immuables n’était pas chose facile. »

Par ailleurs, tordant le coup au pessimisme théorique qui ankylose la société algérienne et qui fait que seule la loi de la majorité l’emporte, quels qu’en soient les travers et les dérives, Saïd Sadi, tirant leçon de son enfance et de son terreau familial, explique que les fatalismes, aussi têtus soient-ils, peuvent fléchir devant l’audace et l’intelligence, y compris d’une minorité. « J’espère que les nouvelles générations trouveront matière à réfléchir dans la description de ces femmes et hommes peu ou pas instruits qui ont pu briser des tabous et avancer en tirant vers le haut leurs proches par leur audace. C’est dans le quotidien de ma famille que j’ai appris que le libre arbitre peut se construire y compris dans des conditions peu propices à l’autonomie personnelle. C’est aussi dans ces gestes et décisions simples et concrets que j’ai compris que l’esprit de meute, qui fait aujourd’hui encore tant de dégâts dans des catégories sociales bien plus nanties que mes parents, n’était pas une fatalité », estime-il.

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