La faillite de l'insignifiance

Au creux de l’effroi. Au cœur des frayeurs et de l’émoi. Au milieu de l’inquiétude, de l’anxiété et des peurs. Au sein du repli obligé de l’entendement. Et du confinement forcé du discernement. En pleine incertitude révulsée et dans le giron des habitudes bouleversées, l’imagination refuse de tergiverser. De se bander les yeux. De baisser les bras. De se résigner à s’allonger. Et d’accepter de cesser de voyager. Bien au contraire. L’imaginaire se met à cavaler impétueusement. À trépider fiévreusement. Et à proliférer furieusement. C’est ce foisonnement d’activités de l’esprit qui annonce ce qu’on désigne habituellement par l’euphémisme de rentrée littéraire. Sous d’autres cieux, bien entendu. À un jet de pierre de la morosité nationale, institutionnalisée. Entretenue et soutenue. Mille romans. Des nouvelles, des essais, des revues, des disques, des aquarelles. Sans compter. Des centaines de films, des cycles de conférences programmées, des visites de musées, le festival pictural et l’automne musical. Des centaines de livres garniront les étals des librairies et une bonne partie prendra la direction des bibliothèques et des médiathèques. En attendant la désignation des prix littéraires version deux mille vingt. D’autres créations artistiques viendront compléter la panoplie. Des œuvres de toutes les teneurs. Et de toutes les couleurs. Une foison à faire pâlir d’envie des milliers de jeunes Algériens ayant la créativité à fleur de peau. Une inventivité effervescente en bandoulière. Une imaginativité bouillonnante qui ne demande qu’à s’objectiver. À s’exprimer. À s’éclater. Et à se jeter éperdument dans les bras de la lumière. À lui ouvrir les yeux rayonnés sur ces milliers de manuscrits croupissant sous des strates épaisses de poussière. Sur ces milliers de tableaux qui n’ont jamais mis les pieds dans une galerie. Sur ces poèmes, ces chansons, et toutes ces merveilles de sensibilité qui s’adressent invariablement au vent. Et qui n’ont jamais pu enjamber la frontière inexpugnable de l’insignifiance officielle. La ligne sacrée de l’insondable indigence institutionnelle. La muraille dressée à la face de toutes leurs surprenantes vibrations. De toutes leurs exaltantes palpitations. Toutes leurs mirifiques pulsations. Porteuses de fabuleuses nouaisons. Dans une Algérie promettant de prodigieuses floraisons.

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