La spirale des béances

L’Humanité est-elle sommée de redéfinir le concept de Liberté ? De revoir le sens du mot proximité ? Et de reformuler le contenu de la notion de convivialité ? Au creux d’une nouvelle sémantique ligotée. Une sémantique menottée. Et où les cellules, les geôles et les prisons, s’érigent subitement en vérités. Confinement. Quarantaine. Isolement. Cantonnement. Éloignement. Les mots de l’enfermement se découvrent soudainement une vocation d’élargissement. Et des vertus d’ouverture et d’épanouissement. Mais dans le lot de ces litotes, trône le plus halluciné. Le plus délirant. Et le plus extravagant. Celui de distanciation sociale. D’écartement des uns des autres. La distance physique, entre les individus, devient subitement distanciation sociale. Quelle belle trouvaille ! Distendre les rapports humains. Les étirer. Les diluer. Les éparpiller. Les disperser. Avant de les dissoudre. Une dissolution qui devient une opération salutaire. Une condition de salubrité drastique. Une exigence de disjonction bénéfique. Au moment où il s’agit précisément de retisser le lien social. De le consolider. De le conforter et de le renforcer. Culturellement. Psychologiquement. Moralement. Économiquement. Et bien évidemment, socialement. En particulier en direction de ces couches sociales, longtemps laissées pour compte. Et qu’on affuble du qualificatif de moyennes. Des catégories sociales complètement laminées. Écrasées. Humiliées. Immergées dans la fange bien au dessous de la moyenne. Ces couches qui n’ont plus de moyenne que leur espérance de vie. Et leur désespérance à vie. Leur pays les redécouvre pour les enfoncer encore plus dans les affres du déni. Dans le purgatoire de la paupérisation, de l’appauvrissement et du dépérissement. De la déchéance la plus basse. Et la dégringolade la plus crasse. Par les vertus de l’éloignement. Les miracles de l’écartèlement. Et les prodiges de l’éparpillement. Une dégringolade qui avait commencé avec l’époque du collectivisme forcené. Le pseudo socialisme, acharné ou plus précisément décharné. Ce bureaucratisme profusément décérébré. Qui les a longtemps réduits à des tubes digestifs. Avant de les lâcher, par grappes serrées, dans les abysses de l’oubli. Afin de préparer soigneusement le lit de la déferlante bazardante. Euphémiquement appelée économie de marché. Une machine qui allait exacerber leur existence frustrée. Froisser leur destinée castrée. En poussant des familles entières dans les gouffres de la privation. Du dénuement et de l’accablement. Les orientant parfois, vers les bras râpeux du suicide. Et souvent dans les cendres tragiques de l’immolation. Pour une promesse de logement. Pour un mirage d’emploi. Ou contre une odieuse humiliation. Des catégories sociales qui se retrouvent complètement paumées. Égarées au cœur de la spirale néolibérale dans sa version locale. C’est-à-dire la plus anarchique, la plus imbécile et la plus brutale. La pire de toutes. La sœur jumelle de l’économie informelle. Elle patauge dans le noir mortel. Assombrissant la tempête pernicieuse. Obscurcissant la tornade vicieuse. Une bourrasque qui s’est chargée de taillader furieusement les fils ténus de la solidarité traditionnelle. Et de découdre les raccords des proximités habituelles. Lacérant une convivialité comme source de mitoyenneté sociale, d’entourage, de voisinage et de partage. Et non d’espacement ou de distanciation. D’écartement et d’écartèlement. Confortant un individualisme forcené. Fortifiant un égoïsme acharné. Et que l’engeance régnante prétend atténuer en étendant un filet. Comme dans un cirque. Un filet tendu. Une métaphore qui convoque la culbute. Les acrobaties. Les voltiges. Et les plongées dans le vide, précédant la chute ultime. Après les entremêlements, les enchevêtrements et les embrouillements du filet. Affublé de l’adjectif social ou pas, un filet n’est qu’un filet. Pour tous ceux qui sont déjà tombés dedans. Avant de descendre encore plus loin. Encore plus bas. Dans cet univers sibérien du dénuement, de la privation et du désespoir. Ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver coincés dans les mailles de cette sinistre ratière. Dans les brouillaminis d’une interminable galère. Les deux pieds solidement plantés en enfer. Et le reste gambadant allègrement dans les méandres de l’irrésolu et les sinuosités de l’inconnu. Et c’est pour cela qu’ils se foutent complètement de la distanciation sociale. Du filet local. De l’apitoiement communal. Et des balivernes nationales.  Ces damnés du système, attendent de retrouver leurs marques dans la reconfiguration de la société. Dans la stratification de la dignité. Loin de la vase bourbeuse de la mendicité institutionnelle. Et des rets de la tourbe glutineuse de la charité officielle.

2 thoughts on “La spirale des béances

  1. Un très beau texte malheureusement sur une très sombre condition humaine.
    Pourrait être le scénario d’un monologue sur une situation kafcaenne où la couleur la plus claire est le … sombre !
    Bravo l’ami.

    1. Tout à fait professeur Zemmour. Et c’est précisément pour ces raisons qu’il nous faut,inlassablement, démystifier tous ces stéréotypes surfaits, que des médias orientés érigent rapidement en évidences.

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