Lahouari Addi tord le cou aux fantasmes idéologiques des nationalistes et des islamistes

Lahouari Addi, sociologue mais surtout intellectuel connu pour son audace  et la radicalité philosophique de ses visions, renverse la table de l’Histoire sur les tenants des idéologies nationaliste et islamiste en démontrant, exemples à l’appui, leur impertinence philosophique, en en dévoilant leurs mortelles contradictions et, partant, leur caractère fantasmatique. Plus concrètement, dans un nouvel ouvrage paru aux éditions Barzakh, Nationalisme radical et islam, produits contradictoires de la modernité, il démontre la relation d’intimité qu’il y a entre l’islamisme et le nationalisme d’abord avant d’expliquer les mécanismes de leur autodestruction. Dans un premier temps, il cerne l’histoire et l’héritage politiques du nationalisme arabe radical en démontrant, à travers des exemples dépouillés, que celui-ci était, dès l’origine, porteur de limites idéologiques qui l’ont empêché d’être le moteur du développement économique et culturel dans les pays où il a prospéré. En effet, les régimes dont il était le ciment et le ferment faisaient, selon Lahouari Addi, une sorte de chantage historique à leur population en leur offrant des droits sociaux en contrepartie d’une cession de leurs droits politique, sabotant ainsi toute aspiration à la liberté, dans toutes ses acceptions. Dans un deuxième temps, Lahouari Addi observe que, bien que le nationalisme arabe radical se soit idéologiquement épuisé, le populisme de type autoritaire n’en reste pas moins présent avec de nouveaux appâts : l’islamisme.  Selon lui, celui-ci s’exprime aujourd’hui  à travers l’Islam politique qui ambitionne de réaliser les objectifs du nationalisme arabe radical en empruntant une voie religieuse. Déduction : selon Lahouari Addi,  l’islam politique est l’héritier du nationalisme arabe radical et, tout comme lui, fondé sur la négation de toutes les instances de la modernité et allant à contre-courant des aspirations des populations et du mouvement de l’Histoire, il est condamné à l’essoufflement et à l’échec.

« Si les pays arabes ont échoué dans leur farouche volonté de se moderniser, écrit-il, c’est parce que toutes les politiques de développement ont été conçues pour satisfaire les aspirations du peuple et non pas pour répondre aux demandes de la société réelle jugée trop matérialiste par le mysticisme du pouvoir ». En effet, Lahouari Addi fait une nette distinction entre les notion de peuple et de société qui sont, pour la première, un fantasme idéologique qui n’a aucun prolongement dans la réalité et, pour la deuxième, une catégorie sociologique majeure qui constitue, avec la notion de marché et d’Etat, les trois instances fondamentales de la modernité. Mais pas seulement. Car le nationalisme arabe ne nie pas que la société et les conflits permanents qui la traversent, la société étant une catégorie mondaine et peuplée de marchands égoïstes, et est marqué par ce que Max Weber appelle « les eaux glacées du paiement au comptant », mais il nie aussi le marché.

Lahouari Addi fait une nette distinction entre les notion de peuple et de société qui sont, pour la première, un fantasme idéologique qui n’a aucun prolongement dans la réalité et, pour la deuxième, une catégorie sociologique majeure qui constitue, avec la notion de marché et d’Etat, les trois instances fondamentales de la modernité.

Cette double négation, arrimée à un autoritarisme qui a perverti la notion d’Etat, a conduit à l’échec irréversible du nationalisme radical arabe. L’islamisme politique, parce qu’il a emprunté le même chemin en changeant seulement de jargon qui passe dans un registre religieux, est tout autant condamné à l’échec. « Comme corpus idéologique, l’islamisme a été élaboré par deux penseurs qui ont donné aux représentations culturelles une forme discursive sous forme d’utopie : Abu Al Ala Mawdudi (1909-1979) et Sayyid Qutb (1926-1966). Ils sont formulé une idéologie exprimant une forme de volonté politique susceptible de rendre le monde conforme à ces représentations. Ces deux idéologues ont eu le souci de proposer une alternative au capitalisme (refusé pour ses libertés politiques et ses inégalités sociales) et au socialisme (rejeté pour son indifférence, voire son hostilité à la religion) », écrit-il en soulignant que les exploits électoraux et les mobilisations qui réussissent les discours inspirées de cette vision utopiste sont une sorte d’écume qui ne résistera pas longtemps au mouvement de l’Histoire qui, elle ne sait ni ne saurait s’accommoder des fantasmes idéologique, aussi têtus soient-ils.  Sa conclusion est d’une étourdissante lucidité : « L’Occident [où est né la modernité à laquelle aspirent les populations vivants dans les pays arabo-musulmans, NDLR] n’a pas été appréhendé comme une expérience particulière de l’histoire intellectuelle de l’humanité, histoire à laquelle les musulmans avaient fait auparavant une contribution, mais plutôt comme un espace dans lequel la science a émergé par pur hasard, donnant aux Occidentaux un avantage sur les autres peuples. La cristallisation essentialiste d’une différence radicale entre « eux » et « nous » indique que le nationalisme arabe radical est  tout aussi étranger à la conscience historique que l’islamisme avec lequel il partage les mêmes références culturelles ».

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