L’inévitable mort du héros dans la fiction algérienne : symptôme d'un « mal » dominant

Dans le récit moderne algérien, un bon héros ne peut être qu’un héros mort et une histoire bien menée est une histoire qui a souvent une fin tragique. Un constat valable aussi bien pour les romans que pour les films ou les feuilletons.

Des décennies durant, lecteurs et téléspectateurs ont été témoins de la disparition, souvent injustifiée, du héros. C’est particulièrement le cas dans les films traitant de la guerre de libération nationale. Malgré sa bravoure, le héros doit toujours mourir à la fin de l’histoire. Une sorte de fatalité à laquelle nous nous sommes habitués avec le temps. Mais cette propension à en finir avec le héros a duré suffisamment longtemps pour donner lieu à des interrogations, somme toute, légitimes.

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À l’origine, cette tendance paraît étroitement liée aux choix politiques adoptés par l’Algérie dès les premières années de son indépendance. Le pays qui avait suivi la voie du socialisme se devait d’être cohérent en bannissant les symboles de l’individualisme sous toutes ses formes. Très souvent, dans nos fictions, le rôle principal était assumé par un groupe et lorsqu’il devait y avoir un seul héros, celui-ci devait inévitablement trouver la mort pour céder sa place à la multitude qu’il symbolisait d’ailleurs au départ.

Dans l’imaginaire populaire algérien, l’héroïsme est étroitement lié au sacrifice. Un concept que l’on retrouve à la fois dans les discours historique et religieux, le point culminant de cet héroïsme étant le don de soi souvent au sens physique du terme.

À l’époque, on ne pouvait se permettre d’avoir des personnages héroïques, indépendants et complètement détachés du groupe  sans risquer de véhiculer le mauvais message. L’individu ne pouvait  exister que dans la mesure où il représentait la masse dans laquelle il devait se dissoudre aussitôt sa tâche accomplie.

Aujourd’hui, les années du socialisme sont loin derrière nous et, malgré tout, nos héros continuent à disparaître de manière précoce au bout d’une aventure qui se termine forcément mal. L’influence des premiers récits de l’Algérie indépendante est tenace mais elle n’explique pas tout.  Un autre facteur entre manifestement en jeu. Moins évident mais probablement plus marquant. Dans l’imaginaire populaire algérien, l’héroïsme est étroitement lié au sacrifice. Un concept que l’on retrouve à la fois dans les discours historique et religieux, le point culminant de cet héroïsme étant le don de soi souvent au sens physique du terme.

Dans d’autres cultures, le héros, même si lui aussi est prêt à se sacrifier, n’a pas toujours besoin de le faire. Ce qui importe, c’est qu’il accomplisse sa mission. Dans le récit algérien, en revanche, c’est le sacrifice lui-même qui érige le personnage principal au rang de héros. Une nuance qui change tout.

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On aurait pu se limiter à ce constat et considérer la rareté des fictions qui se terminent bien comme une simple caractéristique culturelle locale. Sauf qu’il y a un problème. La mort programmée et récurrente du héros algérien aurait pu ne pas poser problème si le téléspectateur, surtout lui, n’était pas submergé par des films occidentaux dans lesquels le héros ne meurt presque jamais. 

Même durant les décennies 70 et 80, au plus fort du socialisme, la télévision algérienne diffusait allégrement des films américains où les personnages principaux étaient tout simplement invincibles. L’Algérien recevait ainsi deux messages totalement opposés. Il assistait à la mort de ses héros tout en étant témoin du triomphe des héros des autres. Quel état d’esprit peut-on avoir dans ces conditions ?  D’autant que ces deux messages subliminaux se sont côtoyés pendant un demi-siècle au moins. Sociologues et psychologues pourraient nous apprendre beaucoup de choses s’ils venaient à se pencher sur la question.

Sous-estimer l’influence de la production fictionnelle, c’est perdre de vue l’un des moteurs de l’évolution des peuples. Ce n’est certainement pas un hasard si dans la Grèce antique, terre d’illustres philosophes et de conquérants célèbres, on se racontait des histoires de héros à moitié divins. C’est d’ailleurs un pléonasme si l’on se réfère à l’étymologie du mot.   

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Ce n’est pas un hasard non plus si les États-Unis ont aussi progressé au rythme de leurs mythes positifs. Aux aventuriers du Far West, ont succédé des justiciers ordinaires puis des super-héros et plus récemment des mutants aux pouvoirs surnaturels. 

Peut-être que la première action à entreprendre pour changer sa réalité serait de commencer par changer sa fiction.

Les Algériens qui aspirent, aujourd’hui plus que jamais, à mettre les bases d’un État tourné vers la modernité où ils pourront pleinement exercer leurs libertés réagiront certainement mieux à des fictions qui redonnent confiance en soi. Des fictions où le héros, bien algérien, va au bout de son aventure, triomphe de ses adversaires et, bien sûr, ne meurt pas à la dernière page du roman ou à la dernière scène du film.

Il faudrait probablement regarder dans ce sens pour amorcer quelque chose de nouveau. Peut-être que la première action à entreprendre pour changer sa réalité serait de commencer par changer sa fiction.

Ahmed Gasmia est journaliste de profession. Il vit et travaille à Alger. Auteur de romans d’aventures dont Complot à Alger (Casbah, 2006), Promesse de bandit (2018), Les peuples du ciel (2019), il est aussi passionné de cinéma d’action. Une passion qui transparait clairement dans ses textes à travers un style d’écriture plutôt visuel.   

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