Karim Akouche : délire et schizophrénie

Comme Issiakhem nous a créé le réalisme algérien en peinture, Karim Akouche le fait en littérature. C’est une mitraillette qui explose les mots. S’il emploie le mode présent à travers sa narration, comme l’a fait aussi Yacine, c’est qu’il y a une raison. Et s’il emploie la première personne, comme dans l’étranger de Camus, c’est pour nous prouver que la fiction peut dépasser la réalité. Akouche aurait pu être un auteur de pamphlets, ou caricaturiste, lui qui aime procéder par le détour, par la dérision. Il tord le coup à la langue et cela lui est égal puisque l’essentiel est l’expression crue.

Qu’y a t-il de plus fort qu’un cri, que le cri lui-même. Guernica n’est jamais trop loin dans cet univers malmené, damné comme dans Danté. Comme il sait aussi tordre le bras à la réalité qu’il rend surréaliste, hostile, douloureuse et invivable. Étonnement, l’écrivain qui vit loin du marasme algérien et sa souffrance sans fin, semble s’y être habitué à cette peine qu’il traîne comme un talisman ancestral. C’est d’un style étriqué donc, et peu importe la forme. On pourrait même entrevoir de la saleté dans la peinture de Chagall mais cela n’empêche guère la grande peinture.

Les ancêtres, le sexe, le terrorisme, la folie, les privations, la léthargie, l’aliénation, la mal-vie ne sont jamais oubliés, car ici on traque tout ce qui bouge, même son ombre, et ceci jusqu’à la désintégration de l’être humain. Étrangement, ici même si la première personne est employée, la trace de l’écrivain disparaît, pour ne laisser la place qu’aux autres personnages. La preuve qu’il n’y a pas d’intention aucune de sa part. Il faut beaucoup de courage pour rester dans cette posture pénible, rester inlassablement dans la gueule du loup.

Un style rikiki donc, mais percutant, qui vous prend à la gorge, qui vous malmène jusqu’à la vomissure. Les vrais écrivains d’aujourd’hui se comptent sur les doigts d’une main, et Akouche en est un. L’invention (ou la réinvention) d’une langue, c’est sa puissance justement. Les français le boudent et l’on ne sait pas pourquoi. Le fait qu’il fricote avec le monde des anglo-saxon les dérange ou sa proximité avec. Paradoxalement, c’est au moment où la littérature s’enfonce dans la fiction que celui-ci fait un retour à une littérature engagée, en la remettant au goût du jour. Tout le monde sait que la littérature romanesque contemporaine est en état de crise. Et c’est lui qui vient de lui donner un second souffle. Sacré Akouche !

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