La formation des formateurs : une catharsis de la praxis pédagogique

Aucune expérience n’est acquise : les pratiques sont en perpétuel mouvement, les sujets apprenants sont hétérogènes et les attentes varient considérablement. A  ces exigences s’ajoute le métabolisme mirobolant de la technologie rocambolesque qui ne cesse de façonner la sphère éducative.

L’enseignant se plonge dans une « odyssée pédagogique », en allant d’une méthode à l’autre, qui implique un éclectisme méthodologique puisant ses références dans une multiplicité de méthodes et d’approches didactiques[1] : méthode traditionnelle, active, audio-orale/audio-visuelle (SGAV), approche communicative, co-actionnelle… pour optimiser les contenus d’enseignement et opérationnaliser les intentions pédagogiques.

Afin d’élucider cette conversion épistémologique, nous esquissons ci-après quelques pistes opératoires susceptibles d’orienter la pratique enseignante.

– Collaboration/coopération : Il importe à chaque enseignant d’échanger ses expériences avec d’autres pairs, d’enrichir ses connaissances et de collaborer avec d’autres homologues en vue de réfléchir sur les contenus d’enseignement/apprentissage qui affichent, en partie, un hiatus entre le déclaratif et le procédural. Ces actes sont nécessaires pour instituer une philosophie éducative fondée sur le « faire ensemble » et sur la « contextualisation » des savoirs et des savoir-faire.

– Se former à la nouvelle technologie : A l’ère où le numérique est devenu une condition sine qua non, il ne suffit pas d’être actif et réactif mais il faut être leader techno-créatif. En effet, l’enseignant est sommé d’innover ses pratiques pédagogico-didactiques en « technologisant » la matière à enseigner par le biais de l’intrusion de divers outils, à moins que cette pratique soit appuyée sur une nouvelle pédagogie.

– Se former au plurilinguisme : enseigner/apprendre une langue est le résultat d’un processus adaptatif de la ou des langue(s) acquise(s) et apprise(s). L’enseignant doit prendre appui sur la/les langues des apprenants (répertoire langagier) pour les aider à accéder au sémantisme des mots et à la compréhension des textes. Maintes approches possibles peuvent y intervenir, entre autres, l’approche intercompréhensive mettant en exergue les ressemblances/dissemblances co-existantes entre les langues afin d’expliciter les mécanismes linguistiques ; l’éveil aux langues ayant pour objectif de sensibiliser/conscientiser les apprenants à la diversité/pluralité linguistique.

Cette compétence plurilinguistique se caractérise par les notions de déséquilibre, de partialité, de pluralité et de dynamicité langagière qui démythifie le concept du perfectionnisme linguistique, affichant la maitrise parfaite des langues comme exigence/exiguïté.

-Se former à l’Interculturel : apprendre une/des langue(s), c’est entrer dans une/des culture(s). L’enseignant est censé accorder une attention particulière à la dimension culturelle afférente à la langue enseignée, en recourant à des supports diversifiés : textes, images, graffitis, supports audiovisuels, etc. Cette tâche a pour objectif de sensibiliser l’apprenant à la diversité culturelle environnante, de s’ouvrir sur l’autre, d’accepter l’autre dans sa diverse diversité, de cultiver l’esprit d’hospitalité, de décentration, d’altérité, d’aller de l’égo à l’alter-égo…

-L’approche par compétence/ la pédagogie différenciée / la pédagogie par les objectifs : L’approche par compétence est devenue majoritaire dans la sphère éducative. Elle met le focus sur le développement des compétences, non seulement au terme du profil ou du cursus mais au courant de l’apprentissage. Etant donné que la compétence ne peut se réduire à la mobilisation des savoirs, des savoir-faire mais elle est dans la mobilisation de ces savoirs dans des situations complexes, signifiantes et contextualisantes (compétence intégratrice).

Quant à la pédagogie différenciée, l’enseignant tient compte de la diversité potentielle des apprenants : kinésique, visuel, auditif, synthétique, analytique… en recourant à des stratégies d’apprentissage allant de pair avec chacun des styles comme l’apprentissage coopératif consistant à faire travailler les élèves ensemble ; les stratégies métacognitives faisant réfléchir l’élève sur son propre processus d’apprentissage (planification, autorégulation, auto-évaluation…) ; les stratégies cognitives telles que la mémorisation, la prise de notes, la révision, l’inférence, le transfert, l’induction/la déduction… (Cuq et Gruca, 2005 : 117).

La pédagogie par les objectifs, quant à elle, s’axe prioritairement sur les attentes effectives émanant de l’analyse des situations didactiques ; dès lors, la question « comment enseigner ? » devrait répondre efficacement à celle « quoi enseigner ? ». Autrement dit, l’enseignant transforme les attentes en objectifs à atteindre.

– Se former à l’épistémologie en didactique : L’épistémologie constitue la pierre angulaire de l’enseignement-apprentissage, notamment des langues. Toute connaissance devrait être critiquée, décortiquée et interprétée pour qu’elle soit apprise (gnoséologie). Dans ce contexte, les principes piagétiens sont au cœur de cette philosophie : l’assimilation qui se focalise sur la modification des données extérieures pour qu’elles soient incorporées dans la mémoire  et l’accommodation qui consiste à remodeler les schèmes (entités abstraites) des sujets apprenants pour que les connaissances s’intègrent aisément. Ces deux principes constituent le fondement du courant constructiviste mettant en avant l’élaboration des connaissances par le sujet apprenant lui-même.

Le socioconstructivisme se fonde sur le principe de l’interactionnisme entre le sujet apprenant et l’environnement de la tâche. Cet apprentissage se produit par l’effet de l’interaction, la collaboration et l’intervention d’un pair expérimenté dans le but d’aider (étayage) l’apprenant novice à surmonter l’objectif-obstacle. [2]

Le principe de l’autoréflexivité constitue l’assise primordiale de toute réflexion épistémè dans la mesure où le sujet apprenant est censé réfléchir sur ses propres apprentissages afin d’établir une corrélation forte entre les connaissances antérieures et ultérieures.

– Valoriser une pédagogie de l’erreur : L’erreur n’est pas une vallée de roses ou un malheur à conjurer, mais un outil d’apprentissage dont on tire profit. Il faut donc mettre un terme  aux vacarmes incessants sur les désavantages de l’erreur. En d’autres mots, il faut ménager la chèvre et le chou. Cela suppose l’instauration d’une pédagogie de l’évaluation et de l’évolution au détriment de celle de la notation et de la dévaluation, c’est-à-dire valoriser l’erreur dans des situations pédagogiques, notamment au cours de l’apprentissage pour y remédier.

– La sociodidactique comme une panacée

Terme apparu vers les années quatre-vingt-dix, la sociodidactique désigne une didactique impliquée socialement.

L’acronyme « socio » accorde à la didactique la notion de « contextualisation », terme cher, entre autres, à M. Rispail et Ph. Blanchet, dans le sens où les paramètres sociaux : géographique, politique, linguistique sont introduits dans l’apprentissage des langues. L’auteure sus-citée précise que « la sociodidactique, dans ses dimensions théorique et méthodologique, s’inscrit donc au premier titre dans le sens d’une recherche impliquée socialement […]» (De Pietro et Rispail, 2014 : 203)

En sociodidactique, le rôle de l’enseignant n’est pas dévolu uniquement à la titulaire de classe, mais comme didacticien-praticien qui sait articuler harmonieusement le texte au contexte.  De ce fait, la sociodidactique prend en charge la variété linguistique (plusieurs parlers à l’intérieur d’une même langue) et la variation contextuelle (registre utilisé par un seul individu en fonction des contextes d’utilisation) de manière à faire réajuster, voire réadapter, l’apprentissage aux différentes variables : sexes, âges, statuts professionnels. « L’approche sociodidactique se situe au croisement de didactique des langues et sociolinguistiques. Elle étudie en particulier l’apprentissage des langues comme modalité d’appropriation non dissociée des acquisitions en contexte social et des contextes sociolinguistiques.» (ibid. : 203)

La sociodidactique nantit les praticiens réfléchis (Perrenoud, 1993) d’un capital socio-culturel qui consiste à intensifier leurs pratiques lato sensu comme le contact des langues, les représentations et les attitudes, les répertoires linguistiques, les langues minorées, etc.

 

La sociodidactique vient se dessiner dans le domaine de l’enseignement-apprentissage comme un « dessein » qui prend en charge les langues autres que celles institutionnalisées, à savoir les variétés linguistiques et le contexte sociétal.

En effet, la valorisation des langues minorées et la focalisation sur le contexte de l’apprenant sont les termes clés de la sociodidactique. Ce positionnement heuristique a pour objectif d’abolir le déphasage entre le scolaire et le sociétal.

En gros, l’objectif ultime que défend la sociodidactique est de mettre l’accent sur l’hétérogénéité du contexte, la polyglossie, le contexte de l’apprenant, la contextualisation des apprentissages et des langues minorées et/ou minoritaires.

Enfin, la mise en œuvre de cette pédagogique  purgative en classe conduit à l’optimisation des pratiques et des résultats escomptés et à la rénovation du métier d’enseignant via la mise en place des stratégies d’outillage et des outils d’étayage. Il convient aussi de changer certains paradigmes macabres ankylosant aussi bien la pratique enseignante que celle apprenante telles que la notion de « l’élève » – venant du verbe élever – qui se réduit à un registre administratif et à un déterminant passif, ainsi que la figure de « l’inspecteur » étant considéré comme un agent de police ou un gardien du temple, en le substituant au conseiller pédagogique au sens d’évaluer sans dévaluer, de veiller, de surveiller et de proposer sans imposer. Ces déterminations rendent Sisyphe[3] heureux en le délivrant du séquestre pratique infernal.

Youcef BACHA, doctorant et jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

Références bibliographiques

 

A. Morf, Une épistémologie pour la didactique : spéculations autour d’un aménagement conceptuel. Revue des sciences de l’éducation, 20 (1), 29–40. (1994). https://doi.org/10.7202/031699ar

J.-P. Cuq et I. Gruca, Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, PUG, Grenoble : 2005.

J.-F. De Pietro et M. Rispail, L’enseignement du français à l’heure du plurilinguisme vers une didactique contextualisée, Presses Universitaire de Namur : 2014.

  1. Noelting, Le constructivisme piagétien et la théorie de l’équilibration illustrés par la construction de la notion de proportion. Philosophiques, 4 (2), 1977, 145–194. https://doi.org/10.7202/203071ar

Ph. Perrenoud, La formation au métier d’enseignant : complexité, professionnalisation et démarche clinique, 1993. URL : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1993/1993_03.html

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