Le patrimoine culturel immatériel (PCI) et ses enjeux (1ère partie)

Le patrimoine culturel a longtemps été vu que sous l’angle du bâti, du matériel. Cette conception qui a pris origine dans le culte de la relique, qui a prévalu pendant des siècles, a été dépassé par l’avènement de l’immatériel, résultat d’une évolution de la société et des mentalités. Ainsi, on écarte de cette vision réduite du patrimoine, qui ne prend en considération que le côté visible et naturel, on l’élargit désormais aux biens immatériels qui sont le produit de manifestations sociales, culturelles individuelles et collectives, y compris la langue de transmission.

La prise de conscience des acteurs et professionnels des limites et du danger d’un fait patrimonial à la dérive a conduit à ouvrir un débat sur les questions de fond telles que : Pourquoi l’homme a-t-il besoin de conserver ? Pourquoi conserve-t-on les objets ? Quelles finalités du patrimoine ? Ces réflexions autour de la conservation, de la transmission, de la notion de matière, de l’immatériel ont fait évoluer les consciences du passé pour prendre en considération non seulement la culture matérielle mais aussi la culture immatérielle. Ainsi, une convention sur le patrimoine culturel immatériel (PCI) est adoptée à l’unanimité par l’ensemble des Etats membres de l’Unesco. Quels sont les éléments qui ont aidé à l’émergence du PCI ? Qu’est ce qui caractérise le patrimoine culturel immatériel ? Pourquoi a-t-on remplacé le terme « protection » usité dans la précédente convention par le terme « sauvegarde » ?  Quels sont les enjeux du patrimoine culturel immatériel ?

 1. Aux origines de la convention sur le patrimoine culturel immatériel

C’est après un long processus de débats engageant des théoriciens, praticiens, juristes du patrimoine qu’on est parvenu à la convention de 2003 qui consacre le patrimoine culturel immatériel comme « biens communs » par l’Unesco. La convention sur le patrimoine culturel immatériel (PCI), adoptée le 30 octobre 2003 par la conférence générale de l’Unesco, est le résultat de débats d’experts (2001-2003) et des négociations ardues entre les Etats membres de cette institution. Mais les discussions, sur le PCI, ont commencé bien avant. En France, par exemple, le débat sur le fait patrimonial est antérieur à 2004, « année du fait patrimonial ». Les acteurs comme A. Desvallées et B. Delloche, pour ne citer que ceux-là, même s’ils n’ont pas fait usage de la dénomination PCI, se présentent comme des précurseurs en ce sens qu’ils sont les premiers à tenter d’attirer l’attention et d’éveiller les consciences sur le détournement négatif de la conscience du passé plus aliénante (J. Mariannick, 2006). En Algérie, M. Mammeri se présente aussi comme un précurseur de la convention de 2003. Ces interventions sur la littérature orale, sur la culture populaire en est un exemple. Dans une de ses conférences il dit « une culture n’est pas un patrimoine, une culture n’est pas un héritage. Une culture est quelque chose qu’on vit, c’est quelque chose qu’on fait vivre ». Cette expression est souvent reprise par de nombreuses personnes sans aucune explicitation, sans aborder l’enjeu dont elle fait objet. On sait tous que le patrimoine culturel d’une communauté, d’un peuple est la culture héritée par cette communauté ou ce peuple plus celle qu’il a créée. Et d’ailleurs Mouloud Mammeri ne manque pas de le préciser dans sa dernière conférence de février 1989 à Bejaia sur la culture populaire en ces termes: « La culture n’est pas seulement un héritage…». Alors pourquoi M. Mammeri a dit « la culture ce n’est pas un patrimoine, ce n’est pas un héritage... ? » Je pense qu’il faut remettre ses propos dans le contexte de l’époque. M. Mammeri qui est à l’avant-garde de la  culture  populaire, d’une société à forte traditions orales voulait se démarquer de la vision matérielle du patrimoine qui prévalait en Occident ou seul le monument, l’objet est pris en charge. A l’époque, le patrimoine immatériel n’est pas encore pris en charge par l’Unesco. M. Mammeri a donc une vision du patrimoine culturel différente de celle dont parlent  les institutions de l’époque. Le patrimoine dont il parle, lui,  est un patrimoine vivant, constamment en recréation comme le préconise d’ailleurs plus tard la convention sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Il est un précurseur de la convention de 2003 en ce sens qu’il participé à la prise de conscience pour la diversité culturel base de tout progrès humain. Non seulement cela s’est traduit dans ses interventions (entretiens et conférences), mais aussi à travers sa pratique de terrain. Le meilleur exemple est l’intérêt pour l’Ahellil du Gourara. Il  a engagé le processus de sauvegarde de cet élément plusieurs années avant la convention de 2003. Ce travail entamé par M. Mammeri, poursuivi par R. Bellil a fini par être reconnu mondialement. L’Ahellil du Gourara est inscrit par l’Unesco sur la liste mondiale de l’humanité en 2005.

Quant à la prise de conscience sur le PCI au sein de l’institution de l’Unesco, elle remonte à l’année 1973, avec la convention concernant « la protection des monuments et sites naturels » lorsque des voix de pays non occidentaux ont revendiqué le droit à autre chose que l’objet (le beau, le rare, l’authentique). Des pays signataires de la convention ne possédant pas ou peu d’artefacts ont exigé de l’institution à ce que la protection du patrimoine culturel s’élargisse au folklore (F. Maguet, 2011). Ainsi, en 1973, le ministre des affaires étrangères de Bolivie a adressé une lettre au secrétaire général de l’Unesco dans laquelle il dit que tous les instruments légaux existants et mis en œuvre par l’institution « visent à protéger des objets tangibles, plutôt que des formes d’expressions telles que la musique et la danse, qui subissent de nos jours une exportation clandestines des plus intensives, participant d’un processus de transculturation commercialement orientée qui détruit les cultures traditionnelles » (C. Bortoloto, 2011). La fin du colonialisme, la pression des pays du sud qui n’ont pas la même vision du patrimoine que ceux du nord, l’émergence des luttes pour la reconnaissance des minorités culturelles, ethniques, religieuses, sexuelles ont aidé d’une certaine façon à l’émergence du patrimoine culturel immatériel.

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