Le plurilinguisme : fitness pour le cerveau

La plasticité cérébrale d’un bi-/plurilingue n’est pas celle d’un monolingue. Un enfant bi-plurilingue qui utilise précocement et régulièrement deux ou plusieurs langues développe inconsciemment une capacité de contrôle « réflexivité » qui réduit les interférences, contrairement à un adulte qui apprend tardivement deux ou plusieurs langues.

Ce câblage neuronal ancré précocement est corrélativement lié aux systèmes linguistiques développés joue une fonction cognitive et exécutoire très efficace.

Dès lors, être bi-/plurilingue consiste à piocher dans un répertoire linguistique dont les langues s’entrecroisent et s’entrelacent.

Ce phénomène d’implantation linguistique précoce des langues  facilite le processus de « sélection », de « récupération » et d’ « encodage phonologique et phonétique », comme le montre la figure ci-dessous.

Schéma adapté de : Hagoort, P. & Levelt W.J.M. (2009). « The Speaking Brain », Science 16 (326), 372-373.[i]

 

Certaines études neurolinguistiques montrent que les mêmes zones cérébrales sont activées entre l’acquisition de la langue maternelle et l’apprentissage d’une seconde langue. Cela dit, la langue première constitue un tremplin vers l’apprentissage des autres langues, où le cerveau développe une neuroplasticité[ii], autrement dit des capacités de réorganisation, d’adaptation et de régénération des fonctions qui établissent une connectivité fonctionnelle entre les systèmes linguistiques et qui stimulent et accroissent, par conséquent, l’intelligence langagière.

Cerveau et bilinguisme[i]

Kail cite une étude, publiée dans Journal of Neuroscience, d’un groupe d’apprenants qui s’entraînement pendant treize semaines pour apprendre le vocabulaire anglais ; au bout de cette expérience, on a remarqué la densité de la matière grise et de la substance blanche[i] dans le gyrus frontal inférieur droit.

Matière grise et matière blanche du cerveau[i]

Plus l’apprenant est exposé aux langues, plus la communication devient fluide. C’est pourquoi la translinguistique[i] favorise l’alternance des langues ou codique et la définit comme une identité d’un locuteur bi-/plurilingue possédant un répertoire linguistique, lui permettant de mener une communication efficiente et de remanier un ensemble langagier répondant un besoin communicationnel immédiat.

La capacité métalinguistique, élastique et malléable, qui se développe à travers  cet incessant aller-retour entre les langues permet de réfléchir sur les systèmes linguistiques et les mécanismes qui les régissent et de doter également le locuteur d’une compétence socio-pragmatique répondant à l’hétérogénéité contextuelle.

Cette « forme cumulative linguistique »[ii] est inhérente à une pratique socio-discursive et conversationnelle se conjuguant en fonction d’une multi-configuration situationnelle.

La neurolinguistique nous offre, in fine, des pistes fécondes pour l’apprentissage linguistique en valorisant l’acquisition précoce des langues. Effectivement, les études pionnières, dans ce champ, montrent que l’enfant qui apprend deux ou plusieurs langues en bas âge utilise les mêmes structures neuronales, contrairement à un apprentissage tardif des langues. « Du point de vue neurologique, le fait d’apprendre une deuxième langue plus tard signifie que l’on risque d’utiliser des structures un petit peu différentes, bien que la base soit la même. Mais le résultat n’est pas nécessairement moins bon ».[iii]

En ce sens, le contexte algérien est déterminé par une configuration sociolinguistique qui mérite d’être transposée dans la situation didactique pour renouer le lien entre les langues de socialisation et celles de scolarisation, dont l’articulation développe une intelligence langagière et renforce les acquis.

Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

[i]  L’effacement des confins entre les langues.

[ii] Moore, D., 2006, Plurilinguisme et école, Paris, Didier, p. 156.

[iii] Marc-André Miserez, Comment les langues s’empilent dans le cerveau. Lien : https://www.swissinfo.ch/fre/comment-les-langues-s-empilent-dans-la-t%C3%AAte/8330830

 

[i] Psychomédia : http://www.psychomedia.qc.ca/neurologie/2009-06-18/matiere-grise-et-matiere-blanche-du-cerveau-definitions

[i] Matière grise traite les informations provenant des organes sensoriels ; la matière blanche facilite la transmission des signaux transmis par les fibres nerveuses.

[i] Lien : https://www.youtube.com/watch?v=AR5XKIiyqJg

[i] J.-F. Dortier et N. Journet (dir.), 2015, Les clés du LANGAGE. Nature, Origine, Apprentissage, Sciences Humaines Edition,  p. 48.

[ii] Michèle Kail, Le bilinguisme sculpte le cerveau. Lien : https://www.scienceshumaines.com/le-bilinguisme-sculpte-le-cerveau_fr_34973.html

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *