Penser Babel au temps de la Covid-19

La tour de Babel est le nom d’un mythe fondateur qui raconte la diversité, mais pas seulement. Les hommes, selon la Genèse XI, parlaient dans des temps anciens une seule langue. Ensuite, pris par la fièvre du pouvoir et de l’orgueil, ils avaient décidé de construire une tour afin d’atteindre le ciel. Donc, ils avaient commencé à construire leur tour. Quand Dieu avait vu leur construction s’élever petit à petit, il fut très en colère contre ces hommes audacieux qui estimaient naïvement pouvoir le défier. Alors, sa malédiction les frappa : la confusion de leur langue. Dans le texte biblique, Yahvé dit : « Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. » (GN 11, 7-8). Dieu ou « Yahvé », selon ce récit, ne permit pas aux hommes de se mesurer à lui. Il décida de les remettre à leur place.

L’on remarque dans le verbe « Descendons » où Dieu s’adresse à lui-même dans le récit, une indication à ce mouvement qui va du haut vers le bas. Donc, le lieu où Dieu réside est un lieu lointain, très haut dans le ciel tandis que le lieu où se trouvent ses misérables créatures, effrontés de surcroit, est le bas : la terre. Le mot « Descendons », en fait, représente une métaphore conceptuelle destinée à celui qui va la lire, la recevoir : l’homme. L’homme pourrait bien saisir, à travers cette descente, que sa valeur ne peut jamais se mesurer à celui qui vit dans les cieux. Il s’agit d’une mise en garde, d’un sarcasme : vous les hommes, vous ne pouvez jamais conquérir le royaume de Dieu !

Le récit de Babel, la ville dans laquelle la tour fut construite, est « un récit des origines [1] ». On évoque la langue unique que parlaient les Hommes et l’union qui était entre eux en cette époque très lointaine dans l’Histoire de l’humanité, c’est-à-dire, les débuts.

Cependant, ce récit fascinant marque deux périodes décisives. Avant Babel, « l’union », car il y avait une langue unique, et une entente entre les hommes puisqu’ils communiquaient en utilisant une seule langue. Et l’après Babel, c’est-à-dire, « l’instauration de la confusion » dans la langue unique, qui s’était transformée tout à coup en plusieurs langues distinctes d’où l’incompréhension entre les bâtisseurs de la tour. C’est la raison pour laquelle la construction de cet édifice s’était arrêtée.

Ainsi, l’on évoque un moment singulier, c’est le moment qui changea le cours de l’Histoire des hommes, et ce, de l’union vers la multiplicité.

La tour de Babel est une explication mythique de la diversité linguistique que l’humanité vit. Ce mythe qui fut exploité et interprété par plusieurs philosophes, écrivains et artistes [2] est tout simplement tel un puits inépuisable de sens dissimulés et de mystères hermétiques. Les hommes hardis avaient été vaincus par un plan divin. Dieu les dispersa sur la face de la terre afin de les affaiblir. D’ailleurs, en parlant plusieurs langues, ils ne pouvaient se comprendre. L’homme, ne se résignant pas à son sort de rupture et de dispersion et ayant toujours eu un engouement pour son aspiration babélienne, créa « la traduction ». Avec l’avènement de cette dernière, les hommes réussissaient enfin à se comprendre.

Après tout ce que l’on vient de dire, on se pose la question suivante: quelle est la relation entre le mythe de Babel et la pandémie du coronavirus ?

L’humanité est submergée par la Covid-19. Elle s’est retrouvée contrainte à observer un confinement total et partiel pour de longs mois. Une situation qui risque de s’allonger à un tel point que l’on ne sait plus quand est-ce qu’on va voir le bout du tunnel. Cette pandémie a transformé de manière très profonde et dramatique la vie des gens. Cloisonnement loin des autres, confusion, distanciation, sont quelques-uns des aspects qui reflètent la dispersion babélienne.

D’un autre côté, les souffrances causées par la Covid-19 : la mort, les maladies qui en découlent, ont uni les populations dans cette conjoncture particulière et douloureuse. Toute l’humanité aujourd’hui cherche un remède à ce virus, une sortie de cette crise mondiale inédite, cherche à se libérer du confinement, de la distanciation sociale, des mesures de prévention plus que jamais épuisantes.

Ainsi, la tour de Babel se renouvelle à travers les âges. C’est un mythe qui se ressuscite continuellement et ne prend pas une seule ride malgré le temps qui passe. Le monde aujourd’hui s’unit dans l’adversité, comme il avait un jour fait face à la confusion de sa langue unique par la création d’un outil salvateur, qui permet la communication : la traduction. Aux prises avec ce virus qui sépare et unit, qui joue sur deux aspects ambivalents, comme le mythe de Babel, que doit faire l’humanité ?

Il faut nécessairement se remettre en question. Pourquoi la Covid-19 ? Est-ce une manifestation d’un déséquilibre écologique, est-ce un complot qui se joue contre l’humanité ? Est-ce un plan qui vise l’instauration d’un nouveau système mondial où s’installera une nouvelle forme de totalitarisme ?

L’être humain est pris au piège devant une crise sanitaire qui a bouleversé le monde entier. Les questions sont multiples, mais les réponses sont lentes à venir. Pourtant, il faut bien réfléchir aux causes de cette souffrance qui creuse au fin fond de nos cœurs et de nos corps. Aucun homme n’est une île, disait John Donne, mais un fragment du continent. Il fait partie de cette merveilleuse humanité et c’est pour cela que toutes les réponses et les solutions doivent mettre au centre de leur préoccupation l’osmose qui définit notre relation à l’autre.

La globalisation tend à confondre l’homme avec la marchandise. Elle se désintéresse de son sort du moment que son profit augmente. Elle oublie sciemment les différences entre les sociétés traduisant la diversité des cultures, leurs besoins de s’affirmer l’une face à l’autre afin de mieux se connaitre et s’embrasser.

La Covid-19 nous rappelle deux choses : l’importance de respecter la distance, par conséquent, reconnaitre la différence de l’autre et son besoin indéfectible d’un espace intime. Elle rappelle aussi la ressemblance entre les hommes quant à la souffrance humaine. Différents mais unis, les Hommes sont beaux par leur diversité mais plus que jamais, ils doivent mettre la main dans la main pour trouver des solutions à ce chaos mondial, à ses guerres injustes, à cette pauvreté imposée, à ce mal-être des individus, à cette misère qui se propage au galop.

Qu’elle soit mauvais ou bon augure, la Covid-19 est là. Elle est là pour nous rappeler l’épisode babélien, et que la malédiction est l’endroit d’une issue qui doit être heureuse.

Bibliographie :

[1] DAUPHINE, James, « Le mythe de Babel » , Babel, 1 I 1996, mis en ligne le 24 mai 2013. En ligne : [http://journals.openedition.org/babel/3088], consulté le 18 août 2020.

[2] Ibid.

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