Le « tout islam» et ses conséquences idéologiques (partie 2)

Le musulman ne peut avancer sans qu’il soumette les «textes» à l’étude historique, sociologique, anthropologique, linguistique, etc., pour les libérer de tous leurs «intégrismes», sortir de son exégèse «concordiste» qui consiste à les faire concorder coûte que coûte avec le monde réel. Il n’y a pas contradiction entre la foi et la raison si tant est que chacune agisse dans l’espace qu’est le sien.

La religiosité excessive quand elle est un facteur d’arriération.

Dans un article intitulé The world’s most (and least) religious countries[1], ( Traduction de : Les pays les plus (et les moins) religieux du monde) publié dans le célèbre The telegraph, le journal énumère les 20 pays les plus religieux et les 20 pays les moins religieux au monde. 

Les pays les plus religieux au monde :

  1. Éthiopie – 99% des gens se sentent religieux.
  2. Malawi – 99%
  3. Niger – 99%
  4. Sri Lanka – 99%
  5. Yémen – 99%
  6. Burundi – 98%
  7. Djibouti – 98%
  8. Mauritanie – 98%
  9. Somalie – 98%
  10. Afghanistan – 97%
  11. Comores – 97%
  12. Égypte – 97%
  13. Guinée – 97%
  14. Laos – 97%
  15. Myanmar – 97%
  16. Cambodge – 96%
  17. Cameroun – 96%
  18. Jordanie – 96%
  19. Sénégal – 96%
  20. Tchad – 95% (avec 6 autres pays : Ghana, Mali, Qatar, République du Congo, Rwanda et Zambie) 

Les 20 pays les moins religieux.

  1. Chine – 7% des gens se sentent religieux.
  2. Japon – 13%
  3. Estonie – 16%
  4. Suède – 19%
  5. Norvège – 21%
  6. République tchèque – 23%
  7. Hong Kong – 26%
  8. Pays-Bas (Hollande)- 26%
  9. Israël – 30%
  10. Royaume-Uni – 30%
  11. Nouvelle-Zélande – 33%
  12. Australie – 34%
  13. Azerbaïdjan – 34%
  14. Biélorussie – 34%
  15. Cuba – 34%
  16. Allemagne – 34%
  17. Viêtnam – 34%
  18. Espagne – 37%
  19. Suisse – 38%
  20. Albanie – 39% (trois autres pays – L’Autriche, Hongrie et Luxembourg avec 39%)

Nous ne faisons pas l’apologie de l’irréligion ou de la religion. L’homme et la femme sont trop complexes pour les contenir dans une religion, une idéologie, une doctrine ou quelque pensée généralement «essentialisante». Sans doute l’étude en question en est-elle une parmi un tas d’autres. Néanmoins, il ressort de ces statistiques des questions. Des problématiques en découlent, voire des «conclusions» qu’il convient de souligner ; à commencer par le fait que les pays les plus religieux au monde sont en général des pays sous-développés, tant les systèmes politiques y sont des dictatures ou des pouvoirs autoritaires. Par ailleurs, hormis le Qatar, ce sont tous des pays pauvres et en proie à toutes sortes de fléaux sociaux dont des guerres, des violences endémiques, des affrontements continues, etc. Les libertés individuelles et démocratiques y sont brimées. La condition de la femme y est peu reluisante ou catastrophique.  

Inversement, les pays dont la religion joue un rôle important, à quelques exceptions près, sont généralement des pays riches, des pays pour la plupart démocratiques avec des universités huppées, des systèmes éducatifs modernes, un vivre-ensemble harmonieux où coexistent plus facilement les différences. Mis à part quelques pays, les femmes jouissent d’égalité ou d’une relative égalité.

Encore que ce ne soit pas aussi simple, on peut presque déduire la chose suivante : en général, plus une société jouit d’un bon système d’éducation, plus elle est moins religieuse, plus elle est démocratique, plus elle est égalitaire. L’exemple que nous connaissons le mieux est celui des pays scandinaves ; ils ont des systèmes éducatifs parmi les meilleurs au monde, les femmes jouissent d’une égalité presque parfaite et ils ont parmi les meilleures qualités de vie au monde. Ils sont des pays riches et «les peuples riches ont moins tendance que les peuples pauvres à admettre que la religion joue un rôle dans leur vie[2]».

Bien sûr, il y a des sociétés dont la religiosité est prégnante et qui sont en même temps développées, mais l’appartenance à la religion de ces pays est souvent plus culturelle que «sociale» ; elle n’occupe pas un espace important dans la vie des gens ; elle est surtout «quelque chose» relevant de la vie privée et non publique.

Mais qu’en est-il de l’Algérie en particulier et du monde musulman en général ? Quelle est la relation entre la ferveur religieuse, pour ne pas dire islamisme ou islam politique, et le développement ?

Pour y revenir, en général, plus une société est fervente religieusement, moins la liberté individuelle et donc la liberté de création existe ; or l’acte de créer et un acte civilisationnel ou civilisateur. L’hégémonie de l’islam politique, et ce, officiellement dans certains pays et officieusement ou socialement dans la plupart des autres, il est aisé de découvrir le mal pour mettre le doigt dans la plaie : le monde musulman ne pense plus (en général) que des œillères que permet l’idéologie de l’islam politique, quand bien même individuellement la pratique quotidienne d’un musulman pour la vie est séculière ou laïque. Il ne pense pas en citoyen, mais en croyant. D’ailleurs, dans l’écrasante majorité des pays musulmans, on est croyant avant d’être citoyen. Il suffit de se souvenir des nombreuses minorités confessionnelles dans le monde dit d’islam. L’espace de la pensée, publiquement au moins, qui devrait être illimité est semé des mines antipersonnel de l’impensé et de l’interdit. Il n’y a pratiquement plus de sujet à débats ou d’espace ouvert capable de contenir toutes les divergences d’opinion. Il n’y a plus d’espaces où n’interviennent des imams, des téléprédicateurs, des Chouyoukhs de toutes sortes.

Aucune société n’avance sans assumer ses contradictions, sans inclure dans un espace commun ses divergences. «L’unanimisme» et un poison social qui tue la créativité, gomme les différences irrigatrices de l’esprit créateur. Une société est comme un écosystème ; les luttes et les antagonismes intérieurs sont essentiels pour sa survie, son épanouissement et son équilibre.    

Le monde musulman, disions-nous, ne discute plus du corps ; il l’a annihilé, effacé, chargé de tous les péchés pour en faire un « ennemi» dont il faut exceller «l’invisibilité» ; par le voile, par le retrait de la femme de l’espace public, par la dépréciation de l’art, l’hyper-sexualisation de tout ce qui est féminin.

Dans certains pays on en est venu jusqu’au «voilement» des organes génitaux de l’animal. Des fatwas aussi débiles que «l’allaitement de l’adulte» pour «asexuer» le lien qui lie une femme à son patron n’ont jamais eu autant d’écho. Des livres qui contestent le système héliocentrique se vendent en millions d’exemplaires. Des téléprédicateurs expliquent partout que les séismes, les déluges et les disettes sont causés par les femmes libertines…     

La statue de la femme qui allaite à Mascara, la statue d’Ain El-Fouara, une grande peinture murale à Alger, tant d’œuvres artistiques ont été vandalisées.  On peut encore évoquer la destruction de Tombouctou au Mali, «la ville des 333 saints», un joyau médiéval de la civilisation arabo-musulmane, les temples plurimillénaires de Palmyre en Syrie détruits par l’État Islamique (Daech), la destruction des Bouddhas de Bâmiyân par les talibans en Afghanistan. Depuis longtemps, le sunnisme «iconoclaste» n’a jamais été aussi littéral et violent ; l’islamisme dans ses versions salafistes, wahhabite, confrérique ou autre est en train de réduire drastiquement les espaces de la liberté.

Le musulman d’aujourd’hui importe toutes les créations technologiques et scientifiques de l’Occident, mais refuse d’importer la pensée créatrice, libre et démocratique à l’origine de toutes ces inventions.

Certains penseurs parlent de la nécessité que le monde dit d’islam vive ses propres Lumières. Car ce sont ces Lumières qui ont libéré la pensée occidentale du poids étouffant et castrateur du tout religieux, qui ont autonomisé l’homme pour qu’il aille explorer les espaces en dehors de ceux délimités par le christianisme et la religion en général. C’est la pensée qui a subverti les dogmes, l’impensable religieux, redéfini le vivre-ensemble.

Dans son célèbre Qu’est-ce que les Lumières, Emmanuel Kant expliquait cette révolution de la pensée : « Les «Lumières» se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute lorsqu’elle résulte non pas d’une insuffisance de l’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Telle est la devise des Lumières.»

Le musulman ne peut avancer sans qu’il soumette les «textes» à l’étude historique, sociologique, anthropologique, linguistique, etc., pour les libérer de tous leurs «intégrismes», sortir de son exégèse «concordiste» pour les faire concorder coûte que coûte  avec le monde réel. Il n’y a pas contradiction entre la foi et la raison si tant est que chacune agisse dans l’espace qu’est le sien.

Y a-t-il eu moins d’islam ou plus d’islam pendant «l’Âge d’or de l’Islam» ? 

D’abord, il convient de rappeler que ce qu’on appelle «l’Âge d’or de l’Islam» s’étire du 8e au 13e siècle à peu près ; une époque qui a connu un grand développement dans l’espace musulman des arts, de l’astronomie, des mathématiques, de l’architecture, de la philosophie, de la navigation, des techniques et différentes technologies. Ensuite, il faut souligner que le concept d’«Âge d’or de l’Islam» lui-même est controversé et pour cause, il n’a commencé à être utilisé qu’à partir du 19e siècle. Certains spécialistes l’attribuent d’ailleurs aux orientalistes, souvent essentialistes ou «ignorant» l’extraordinaire diversité religieuse, linguistique, ethnique, géographique, historique, etc., du monde dit d’islam. L’historien  iranien Shodja-e-din Shafa conteste le fait même que l’on puisse désigner une science de «science islamique». Il explique qu’ « Il est vrai que la religion a servi de ciment pour presque tous les empires anciens et leur a permis de fonder leur autorité, elle ne se définit pas par des traits qui justifieraient d’attribuer à ses pratiques cultuelles le développement particulier des sciences, des techniques et des arts. Divers empires historiques ont adopté une religion officielle, sans que, pour autant, la science et les arts qui s’y épanouirent soient attribués à la religion en question[3]

À partir de 850, présente en Asie, en Afrique et en Europe en effet, se développe une grande culture unifiée par la langue arabe qui s’étend sur un immense espace conquis par les musulmans et rattaché par un commerce florissant. Des villes comme des foyers de civilisation naissent et prospèrent. Bagdad, Cordoue, Grenade, Damas, Ispahan, Samarkand, Chiraz, Kairouan et plein d’autres villes vont être les symboles emblématiques de l’apogée de cette civilisation.

Néanmoins, afin d’étayer notre propos, on ne peut se pencher sur « la ferveur religieuse» qui régnait dans toutes ces villes, mais on peut se contenter de quelques villes ou espaces géographiques dont la civilisation avait atteint un niveau alors inégalé.  De toutes ces villes ou de tous ces espaces, il y en a deux qui se distinguent nettement. L’imaginaire universel comme celui de tout homme issu de culture musulmane a dans sa tête deux «espaces civilisationnels» indélébiles pour ainsi dire : les Abbassides avec l’emblématique Bagdad et Al Andalus (Andalousie) avec ces villes prospères comme Grenade, Cordoue, Tolède. Ils sont parmi les espaces de cette civilisation qui nous ont légués plus de « preuves». Les Mille et une nuits, les maisons de la sagesse, l’observatoire de l’astronomie, les joutes poétiques, le développement des mathématiques, des arts, de la rhétorique, de la philosophie, etc., sont rattachés à Bagdad ; comme évoque l’Andalousie dans nos têtes Averroès, Ibn Arabi, Maïmonide, l’architecture, la tolérance, la traduction, la littérature, la philosophie, le soufisme…

Les Abbassides et l’apport des mutazilites

Les spécialistes s’accordent à dire que si la civilisation arabo-musulmane commence à décliner durant le règne des abbassides, c’est aussi à cette époque qu’elle a atteint  des sommets  inégalés.

Les Abbassides gouvernent le monde musulman de 750 à 1258, mais c’est durant le 9e et 10e siècles surtout que Bagdad va être à l’origine d’une intense activité intellectuelle et de diffusion de multiples savoirs et apprentissages.  En 762, la ville de Bagdad est fondée et sera le phare de la civilisation. Les califes, Al-MânsurAl-Ma’mūn et Harun ar-Rachid, les plus importants du règne abbasside, étendent l’influence de l’islam, l’usage de la langue arabe vers une conscience plus universelle, mais aussi l’usage de la raison dans une certaine mesure.  

Certes, on ne peut recenser toutes les raisons qui sont à l’origine de cette prospérité, mais parler d’emblée des joutes poétiques, se rappeler quelques poèmes connus qui célébraient l’amour charnel, le corps, le vin ; évoquer la maison de la sagesse (bayt al hikma), les bibliothèques de Bagdad (il y en avait plus de 100); le développement de la médecine, de la traduction et de toutes sortes de sciences, n’est pas sans aboutir à la question suivante : n’est-ce pas la preuve qu’une certaine rationalité existait alors et qu’un climat empreint de tolérance avait constitué le terreau fertile pour qu’éclose la pensée créatrice ?

On ne peut en effet parler des Abbassides, du moins durant le 9e et 10e siècles, au summum de leur inventivité, sans évoquer les Mutazilites ou le Mutazilisme, une école théologique de l’islam qui s’inspire de la philosophie grecque, fondée sur la logique et le rationalisme. 

En 827, le calife Al-Ma’mun en fait la doctrine officielle du califat et encourage les milieux intellectuels à l’usage de la philosophie et de la raison (le logos). Il faut distinguer les Mutazilites des autres écoles théologiques de l’islam pour comprendre le lien entre l’essor civilisationnel du 9e et 10e siècles et le mutazilisme. D’autant plus qu’il devient le courant majoritaire pendant plusieurs siècles.

Le Mutazilisme est bâti sur 5 fondements (1. Le monothéisme (al-Tawhid); 2. La justice divine (Al adl) ; 3. Promesse et menace (al-Wa’d wa al-Wa’id) ; 4. Le degré intermédiaire ou l’entre-deux (al-manzilatu bayn al-manzilatayn) ; 5. Ordonner le bien et blâmer le blâmable ((al-amr bil ma’ruf wa al-nahy ‘an al munkar).  

Notre propos néanmoins n’est pas tant d’expliciter ce qu’est le mutazilisme ni de nous attarder sur ses fondements, encore qu’il faille que nous en soyons des spécialistes, mais de comprendre un peu que l’importance de la raison et de de la philosophie pour une école théologique (Aqîda), de surcroit majoritaire pendant une époque, était le socle idéal pour une interculturalité féconde, des débats contradictoires riches et nourriciers de la raison et des altérités, une ouverture sur la pensée hellénique pour importer, traduire et adopter des savoirs multimillénaires.

Les mutazilites se distinguent de la plupart des écoles théologiques de l’islam comme l’Acharisme par exemple, pour qui le Coran est incréé, c’est-à-dire immuable et ayant toujours existé ; ils considèrent que le Coran est créé et donc le fruit d’un contexte historique, d’une époque et d’un espace donné ; et de ce point de vue, sans doute pas avec les mêmes outils scientifiques d’aujourd’hui, les mutazilites étaient déjà dans une sorte d’historicité et de rationalisation du texte coranique. Le théologien et philosophe néo-mutazilite Faker Chokrane, dans un entretien sur le Mutazilisme explique ce propos ainsi : «Les mutazilites considèrent qu’il (le Coran) est créé par Dieu à un moment donné et constitue un message adressé aux hommes, mais cela veut aussi dire qu’il tient compte des données de son contexte[4]

Les mutazilites croyaient au libre arbitre et en la responsabilité de chaque être humain sur ses actes. Ils rejettent les dogmes souvent indiscutés, considèrent que la source première du croyant est le Coran et que si une tradition prophétique, un hadith, est contradictoire avec le texte coranique, eh bien, il faut la rejeter. Le mutazilisme devenu la doctrine officielle grâce à Al-Ma’mūn et continuera à l’être avec  deux autres califes, Al-Mu tas im et Al-Wāt iq, même s’il sera abandonné après, influencera la pensée musulmane en l’imprégnant de philosophie, de logique et de rationalisme. Sa pensée s’étendra jusqu’en Afrique du nord et va influencer toute la métaphysique médiévale : «Le rôle du mutazilisme, explique le philosophe plus loin, a été très important dans l’Islam, tant du point de vue du développement des connaissances, notamment par la ­figure d’Al-Ma’mūn et la maison de la sagesse, que de la pensée dans la mesure où il a été une forme de matrice conceptuelle pour la pensée sunnite mais également pour la pensée chiite. Les jafarites étaient au début des jabrites, des défenseurs de la prédestination. C’est après discussion avec les mutazilites que le chiisme est devenu partisan du libre arbitre. Le chiisme zaydite est un chiisme qui se fonde sur les cinq principes mutazilites. Et même dans la pensée d’Al-Achari, qui était mutazilite jusqu’à ses 40 ans, on retrouve énormément de choses reprises de la méthodologie mutazilite, même s’il s’en est écarté dans ses résultats. Il n’empêche qu’il est redevable à la pensée mutazilite. L’acharisme, courant majoritaire chez les musulmans sunnites, prend appui sur énormément de choses élaborées dans le cadre mutazilite[5].»

Dans un article de l’historienne française Van Renterghem, Al-Mamun, Le calife mécène, elle explique comme la politique culturelle mise en place par le célèbre calife qui a promulgué doctrine officielle le Mutazilisme a contribué à l’essor des sciences et des savoirs ; elle y développe les grands axes : «Un rôle moteur dans ce phénomène est traditionnellement accordé au calife Al-Mamun, qui régna vingt ans, de 813 à 833. Ses biographes dressent le portrait d’un homme éduqué, amoureux des sciences et protecteur des savants, envoyant des émissaires auprès du souverain byzantin pour rapporter à Bagdad des textes grecs à traduire. Que cette anecdote soit ou non véridique, il est certain que la capitale abbasside fut, pendant plus d’un siècle, le théâtre d’une intense activité de traduction. Parmi les textes originaux, traduits et retraduits, figuraient quelque 800 traités grecs touchant à tous les domaines du savoir profane, des Éléments du mathématicien grec Euclide (IIIe siècle av. J.-C.) à l’Almageste de Ptolémée (IIe siècle ap. J.-C.), en passant par les traités médicaux de Galien (IIe siècle ap. J.-C.). Les philosophes arabes du début du IXe siècle, dans le sillage du développement des sciences religieuses islamiques et notamment de la théologie rationnelle (kalam), s’intéressèrent tout d’abord à la tradition platonicienne et à sa cosmologie. Leurs successeurs se passionnèrent pour la logique et la physique d’Aristote, et le Xe siècle vit l’éclosion d’une véritable « école de Bagdad » en matière de philosophie[6]

C’est l’amour de la science et des scientifiques, explique encore l’historienne, qui a poussé le célèbre calife à provoquer cette révolution des savoirs, cette valorisation des savants polyglottes pour qu’ils traduisent les trésors antiques en philosophie, en mathématiques, en astronomie…  Et le mutazilisme, dans un monde où la religion est très importante pour donner du sens, était là pour libérer les énergies, déconstruire les impensées, permettre ne serait-ce qu’une tolérance relative pour contenir les contradictions et les différences.

Si certains spécialistes parlent de la dérive politique mutazilite à l’origine de son déclin et de sa destitution comme doctrine officielle, il n’en demeure pas moins qu’elle a continué pendant des siècles à influencer la pensée musulmane par son socle rationnel, ses références à la raison et à la philosophie : «Le calife Al-Mamun, qui règne de 813 à 833, protège le mouvement mutazilite, d’un rationalisme qui confine à la libre-pensée. Et il favorise activement la traduction des auteurs grecs, confiée souvent à des chrétiens syriaques avant d’être retranscrite en arabe. Si le mutazilisme ne survivra pas aux tensions politiques ultérieures, l’étude de la «science des anciens», la philosophie, continue à se développer à Bagdad, à Samarra et au KhorassanAl-Farabi (872-950) s’attire par ses commentaires d’Aristote le qualificatif non disputé de «second maître» (après le philosophe grec), tandis qu’un siècle plus tard, Ibn Sina par ses travaux, en médecine et en philosophie, se taille une gloire qui le distinguera jusque dans la chrétienté sous le nom d’Avicenne. Pour ne citer que deux des savants dont les écrits sont discutés d’un bout à l’autre du Dar-al-Islam[7]  

À suivre


[1] https://www.telegraph.co.uk/travel/maps-and-graphics/most-religious-countries-in-the-world/

[2] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/03/16/01016-20150316ARTFIG00171-croyance-et-pib-les-pays-les-plus-riches-sont-les-moins-religieux.php

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%82ge_d%27or_de_l%27Islam

[4] https://fif-oz.ams3.digitaloceanspaces.com/assets/media/korchane-min.pdf

[5] – Ibid.

[6] https://www.lhistoire.fr/al-mamun-le-calife-m%C3%A9c%C3%A8ne

[7] https://www.letemps.ch/monde/alandalus-premier-islam-europeen

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