De « alcahueta », à la racine arabe « q-w-d »… « La Celestina » de Fernando de Rojas, un archétype littéraire

Il existe en espagnol le terme (et le personnage littéraire) « alcahueta » (o alcahuete) qu’on pourrait traduire par « entremetteur(se) », et qui se réfère à la personne dont le « métier » consiste à permettre à ce que des personnes puissent se connaître et maintenir un certain type de relation amoureuse ou même sexuelle, cachée ou illicite.

Rappelons aussi que le verbe « alcahuetear » s’est maintenu dans la langue de Cervantès comme le fait de faire l’intermédiaire ou couvrir des relations sexuelles adultères ou « clandestines ».

Le mot « alcahuete » ou son féminin « alcahueta » fut incorporé en espagnol au Moyen-âge par le biais de l’arabe hispanique « al qawwād », composé par le préfixe « al », équivalent à l’article « al », et le terme « qawwăd », dont le sens littéral est messager, conducteur, ou celui qui transmet, qui conduit, qui mène un message: Corominas donne pour étymologie l’arabe /qada/ (conduire).

Le travail, l’objectif du « qawwād », el « alcahuete » était de transmettre un message (amoureux) à une femme mariée de la part d’un homme qui la désirait, et aussi par là même, de faire cadeau de présents au mari de celle-ci (par exemple un cheval) afin de gagner sa confiance et sa sympathie, et d’ouvrir le chemin à ce couple adultère.

Le terme se propage largement durant tout le Moyen-âge où de nombreuses femmes (surtout d’un âge avancé) se consacraient à ce travail d’approches et d’intermédiaires, et ainsi entamer des relations entre diverses personnes afin de contracter un mariage.

Une des tâches et des missions de l’alcahueta était (une fois qu’était pris l’engagement de mariage) de tout faire afin que la promise se présente à l’église le jour des noces: elle devait donc aller la chercher à son domicile et l’accompagner jusqu’à l’autel. Cela était dû au fait que de nombreuses « alliances » convenues n’avaient pas le consentement de la concernée, mais étaient plutôt un accord entre le prétendant et le père de la mariée.

Et donc, étant donné que c’était le prétendant qui avait demandé les services de la alcahueta, il était normal que certaines personnes s’y opposaient. Ainsi, si la fille ne se présentait pas, l’intéressé ne payait pas ses services.

En fait, comme je le signale au début du texte, une des attributions des alcahuetas était surtout de faciliter et permettre des relations sentimentales et sexuelles interdites et illicites. De là proviendrait le sens grossier et insultant en arabe « algérien » de la racine arabe q-w-d.

Revenons maintenant à ce moment précis de l’histoire de la littérature espagnole: une des « alcahuetas » les plus célèbres, est sans conteste la vieille Celestina (Célestine: entremetteuse et sorcière également dans la tradition littéraire française) dans l’œuvre de Fernando de Rojas, juif converti, la « Tragicomedia de Calisto y Melibea » (XVème S.) qui devint avec le temps, « La Celestina », un nom propre synonyme du métier d’entremetteuse.

Cette œuvre fut, après Don Quichotte, le livre espagnol le plus universellement diffusé et traduit tout au long des siècles.

Elle raconte l’histoire de Calixte, jeune homme de noble naissance, d’un esprit distingué, d’une éducation peu commune, d’une fortune moyenne, qui est pris d’amour pour Mélibée, jeune fille d’une grande beauté, d’une naissance haute et pure, possédant une grande fortune, unique héritière de son père et tendrement aimée par sa mère Alisa. Calixte poursuit Mélibée des plus vives instances et, aidé par Célestine (femme entremetteuse méchante et rusée à laquelle se joignent deux serviteurs de Calixte qu’elle a séduits et rendus infidèles par l’appât du plaisir et du profit), il parvient à vaincre la chaste résistance de la jeune fille. L’histoire nous raconte que amants et ceux qui les aident ont une fin malheureuse et amère.

Toute l’œuvre est construite sur la base des manigances et des manœuvres de la Celestina afin que Mélibée cède aux avances de Calixte.

Ce personnage est assez présent dans la littérature médiévale espagnole: l’un des premiers auteurs à l’inclure dans son œuvre, el Libro del buen amor (1330-1343), fut l’archiprêtre de Hita.

L’écrivain arabe de Cordoue Ibn Hazm dans son livre Tawq al-hamāma ou Le collier de la colombe (1023) traite aussi ce thème de l’amour, où apparaît le personnage du « messager ».

 

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