Vacuités d’État

Celui qui veut faire de l’État une école de vertu, ne sait pas quel grand péché il commet, nous disait Friedrich Hölderlin. Avant d’ajouter : l’écorce grossière qui enveloppe l’amande de la vie, rien de plus, voilà ce qu’est l’État. Il est à se demander alors, depuis quand sommes-nous coincés entre l’amande et l’écorce ? Et depuis quand, l’État n’est même plus cette écorce grossière qui enveloppe l’amande de la vie ? Quant à la qualité de l’amande, cela est une autre histoire.  Car cela fait des décennies que nous ressassons notre pénitence de subir les affres de l’absence de l’État. Les angoisses de l’inexistence de l’autorité de l’État. En clair, la plénitude du vide. La complétude de la vacuité étatique. Drapée de l’omniprésence de sa déliquescence. La débâcle dans tous ses sens et dans toutes ses outrances. À commencer par la capitulation frileuse devant les assauts pernicieux de l’antiscience. Sous la bannière du religieux. Suivie de l’institutionnalisation scabreuse de l’ignorance. Deux calamités bien visibles, du syndrome de l’Inconséquence. Deux symptômes cliniques de l’absence drastique de gouvernance. Ce qui signifie formellement, que l’État est un non 1tat. Vous pouvez vous lancer à sa recherche partout. Vous pouvez arpenter plusieurs rues parallèles. Ou même prendre l’escalier tortueux du ciel. Dans l’espoir de le croiser.Vous ne verrez aucun État en chair et en os. Et même pas en institutions. Où alors tellement difformes que le premier terme qui s’agrippe promptement à votre esprit est encore ce satané vocable de déliquescence. Et vous avez beau l’envoyer balader. Vous avez beau dire que l’État n’est qu’une abstraction. Et que cette abstraction est, par nature, incapable de gérer les choses concrètement. Encore moins convenablement. Que cette abstraction est scandaleusement boiteuse, branlante, claudicante et abdiquante. Face aux urgences criantes de la société. Face aux exigences flagrantes de toutes les impérativités. Rien ne frémit dans cette imperturbable fixité. Car cela fait des mois que la chape d’effroi qui plane sur l’amande de la vie s’est transformée en voûte de désarroi. Gangrenant les fondements de la socialité. Aggravée par les décisions de mauvais aloi. Relayée par les défaillances, les insuffisances et la mauvaise foi. Les carences, les lacunes, les défections, les pénuries, les manques et les disettes. Comme ces chaines interminables pour retirer quelques billets chiffonnés, dans des bureaux à la mine démesurément consternée. Des bureaux déconfits, pris d’assaut, par des retraités affreusement maltraités. Effroyablement terrassés par un soleil rageur. Un soleil déluré qui se joue malicieusement de ces grappes serrées d’os défaits. Des retraités qui attentent depuis l’aube. Exténués. Fourbus. Ereintés. Désorientés. Pour finir liquéfiés par le manque de liquide. Transis par l’absence de liquidités. Imputée, toute honte bue, au personnel féminin, mis en congé. Quelle fumisterie ! C’est encore la faute aux femmes. Toujours elles. Et quelle mortification pour tous ces retraités qui restent lontemps figés devant ces murs decrépits. Avant de rebrousser le chemin de l’amertume. Et s’empaqueter, encore une fois, dans les rets de l’affliction et la nasse noueuse de l’abandon. L’abandon d’un État qui manque de liquide, de règles solides et de gestion limpide. Et c’est, sans doute, pour ces raisons qu’il manque d’air aussi. Obligeant les familles des patients agonisants à s’engouffrer dans les méandres du marché noir de l’air. À la recherche de ces poches d’oxygène et de ces respirateurs artificiels inexistants. Ou alors négociés à des prix ahurissants par de sombres entremetteurs de la mort. Là aussi notre Abstraction brille par sa proverbiale absence. Par la démocratisation effrénée de son inexistence. Et par la banalisation immodérée de toutes les incompétences. Comme celle qui pousse des milliers d’enfants à s’incruster dans le néant. En chevauchant des vagues idomptées. Des vagues meurtrières. Pour troquer les rêves graciles de l’enfance, contre les illusions volages d’une vague promesse d’insouciance. Encore un stéréotype mortel nourri par la permanence de l’absence. Par le vide et l’abandon de l’adolescence. Dans les plus insoutenables des circontances. Retraités, malades, et enfants en détresse, sont tous livrés aux bras râpeux de l’impuissance. Tous délaissés, oubliés, abandonnés. Alors que dans son sens premier, le mot État, qui vient du latin status, dérivé du verbe « stare » signifie « se tenir debout ». Sa fonction première est donc d’être debout. Aux cotés de tous ces laissés-pour-compte. Tous ces damnés. Or, pour être debout, il faut se tenir droit. Et c’est sans doute pour cela que les mots État et Droit forment un beau couple quand ils se tiennent fermement par la main. Mais quand ils sont irrévocablement divorcés, il s’agit d’un simulacre d’État.  Qui n’est ni debout ni droit. Et où tous les coups tordus fusent profusément. Les fausses promesses, les déclarations emphatiques et les proclamations dithyrambiques. Arrosées copieusement de mensonges mirifiques. Sans sourciller. Sans avoir le moindre froid aux yeux. Nietschze l’avait bien saisi en déclarant que l’État est le plus froid des monstres froids. Le mensonge qui s’échappe froidement de sa bouche est : « Moi l’État, je suis le peuple ». Sans être ni présent ni debout aux cotés de ces peuplades paumées. Ces cohortes de retraités troublés, ces innombrables malades isolés, ces milliers d’artistes précarisés et de ces millions d’enfants déboussolés. Tous attendent un État qui se tient debout. Droit dans ses bottes. Mais quand ces bottes se trouvent à mille lieues, seuls leurs fantômes flottent facétieusement sur la face blafarde de toutes les vacuités. Sur une contrée pleinement désertée. Une contrée outrageusement désaffectée. Et où la main de la gouvernace n’a jamais mis les pieds.

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